Journal de Versailles, 9 et 12 septembre 1858

L'accident du train atmosphérique en gare du Vésinet, le 6 septembre 1858

Un bien cruel accident est arrivé hier au soir à la gare du Vésinet.
Le train parti de Saint-Germain à 10 heures du soir et qui, comme on sait, descend par son propre poids la rampe du chemin atmosphérique, n'a pu s'arrêter à la place accoutumée, et est venu heurter une locomotive qui se trouvait dans la gare. Un choc violent a eu lieu. Une voiture a été brisée; le conducteur placé en tête du train a été tué ainsi que deux autres personnes; plusieurs voyageurs sont blessés, quelques-uns grièvement. On suppose que le frein de la voiture placée en tête du train s'est rompu.
Voici d'autres renseignements recueillis sur le lieu de l'accident et que publie la Patrie: Il paraît à peu près certain que la rupture du frein d'avant du train a été la cause unique de l'accident. Des voyageurs nous ont rapporté que le train, en descendant le plan incliné qui relie le Pecq à Saint-Germain avait acquis une vitesse prodigieuse et telle qu'il aurait parcouru en trois ou quatre minutes l'espace qu'il parcourt ordinairement en cinq minutes et demie.

Réprésentation de l'accident du 6 septembre 1858 en gare du Vésinet

Le nombre des morts est de trois: Lacotte, conducteur du train; dame Michelle, marchande à la halle, rue des Gravilliers, 76; dame Roger, passage Tivoli, 11.
Parmi les voyageurs blessés, au nombre de
[trente cinq], trois ou quatre le sont assez grièvement; un seul a eu un membre fracturé. Les autres paraissent n'avoir que des contusions, sinon sans gravité, au moins peu dangereuses. Voici les noms des blessés [liste complétée dans l'article du 12 septembre]:

      1. M. Allard, lithographe, à Suresne;

      2. M. Cohannier, marchand de fruits, 110, avenue des Champs-Elysées;

      3. Madame Morel, 106, rue St-Lazare;

      4. M. Petit, négociant-commissionnaire, 127, rue Saint-Lazare;

      5. M. Dufour, fabricant de plaqué, 5 rue Pavée, au Marais;

      6. M. Roger, entrepreneur de parquets, 11, passage Tivoli;

      7. Mademoiselle Blanchard, belle-soeur de M. Allard, à Suresne;

      8. M. Delorme, peintre;

      9. Mademoiselle Delorme, sa soeur;

      10. M. Gourdin, 12, rue des Bourdonnais;

      11. Mademoiselle Bouché, marchande à la halle, 3, rue Charlot;

      12. Madame Gaillet, 134, rue St-Lazare;

      13. Madame Lacroix, sage-femme, 34,place du Marché-Saint-Honoré;

      14. M. Lacroix, même demeure;

      15. Mademoiselle Vigier, cordonnière, à Paris;

      16. M. Morel, entrepreneur de serrurerie, 12, rue de Hanovre;

      17. Madame Morel, idem;

      18. M. Lacroix, layetier-emballeur, 14, rue du Cherche-Midi;

      19. Madame Lacroix, idem;

      20. Madame Delajacque, femme de l'entrepreneur de peinture, 16, rue Corbeau;

      21. M. Wisbé, taillandier, 60, rue de Londres;

      22. Madame Wisbé, idem;

      23. M. Sauge, chapelier, 10, place de la Corderie;

      24. Madame Sauge, idem;

      25. Madame Patry, 25, rue du Cloître-Notre-Dame;

      26. Mademoiselle Bard, 27, rue de la Michodière;

      27. Mademoiselle Morel, enfant de huit ans, idem;

      28. Madame Branchu, maîtresse d'hôtel, idem;

      29. M. Tronche, idem;

      30. M. Vigié père, cordonnier, idem;

      31. M. Vigié fils, idem;

      32. M. Delaroche, marchand de parapluies, 175, faubourg Saint-Honoré;

      33. Madame Delaroche, sa femme;

      34. M. Descoins, blanchisseur, à Suresne;

      35. Madame Lamarre, rue Saint-Honoré, 35, à Versailles.

Quatre blessés ont été transportés immédiatement chez M. Malfilâtre, restaurateur au Pecq [1]. Deux ont été conduits à l'hôpital de St-Germain. Un a été déposé à l'hôtel du Prince de Galles. Les autres ont été ramenés à Paris. Les soins les plus empressés ont été donnés aux blessés, par MM. les docteurs du Harme, de Chatou, MM. Laplanche, Clerc, médecins à St-Germain, M. Fournier, docteur attaché au service de l'hôpital de Saint-Germain, et par les médecins attachés spécialement au service de la compagnie de l'Ouest, qui avaient été dirigés tout de suite sur le théâtre de l'événement.
A la première nouvelle de cet accident M. Chable-Lafosse, commandant de la gendarmerie de Saint-Germain, s'est empressé avec la plus louable activité d'organiser les secours d'urgence. Il a été promptement secondé par le commissaire de police et de juge de paix de Saint-Germain; par M. Delapeyrière, chef de l'exploitation et par M. Férot, chef du mouvement général des chemins de l'Ouest, qui sont arrivés à Saint-Germain peu de temps après l'accident.
MM. de Saint-Marsault, préfet de Seine-et-Oise, Gendreau, substitut de M. le procureur impérial, et Croissant, juge de paix, se sont empressés de se rendre sur le théâtre de l'événement, qu'ils n'ont quitté que lorsqu'ils ont eu acquis la certitude que tous les blessés avaient été secourus. Une enquête judiciaire a été commencée immédiatement.
L'état général des blessés est en voie d'amélioration. Il n'est pas exact qu'aucun d'eux soit mort depuis l'accident.

La cause de ce triste événement consiste dans le choc du train descendant de Saint-Germain, le 6 septembre, à dix heures douze minutes du soir, contre la machine qui devait l'attendre au Vésinet, sur une ligne d'évitement et qui, manoeuvrée tardivement et sans protection du disque qui eût dû protéger la voie, se trouvait sur cette voie au moment où le train y arrivait avec une vitesse inusitée. Le tender de la machine et la première voiture ont été brisés en mille morceaux; il a donc été impossible de constater si le frein de cette voiture s'était, comme on l'a supposé, rompu pendant le trajet, et si cette rupture a été la cause de la rapidité du train, et par suite de l'accident. Le garde-frein Lacotte était mort sur le coup.
La procédure, dirigée par M. Lambinet, juge d'instruction, et M. Gendreau, substitut du Procureur impérial, continuée sur les lieux pendant les deux journées des 7 et 8, est aujourd'hui presque terminée. Deux des employés, les sieurs Rouzeau, chef de gare au Vésinet, et Duhautoire, préposé au télégraphe de cette station, sont en état d'arrestation.
L'affaire paraît devoir être portée à l'une des prochaines audiences du tribunal correctionnel de Versailles.

[1] M. Malfilâtre, restaurateur au Pecq, est souvent cité dans les procès verbaux de duels, pour avoir reçu des blessés et porté les premiers secours.


Société d'Histoire du Vésinet, 2009 - www.histoire-vesinet.org