Histoire du Vésinet, Le Vésinet au quotidien, 2019

Le Chanoine d'Agrigente

C'est une courte notice nécrologique publiée par l'Annuaire pontifical catholique qui nous permet de reconstituer la biographie de l'abbé Maret, après sa peine de prison. Incarcéré à Melun puis à la prison de Beaulieu, (aujourd'hui Maison Centrale de Caen, dans le Calvados) sous le régime dit cellulaire (isolement volontaire), il avait été libéré en 1886 après sept ans de réclusion.

    Mgr Maret (Jean Baptiste Léon) est plus connu sous le nom de Chanoine d'Agrigente, pseudonyme dont il signait ses nombreux articles. Il est né en Auvergne vers 1820 ou 1821 [1], et s'occupa de bonne heure de recherches historiques. Il fut un des correspondants assidus du Monde [2] sous Ie pseudonyme déjà cité et sous lequel on le connaissait ordinairement. Il lui était venu d'un séjour en Sicile ou l'évèque de Girgenti, l'ancienne Agrigente, l'avait fait chanoine honoraire de sa cathédrale.
    Parmi les nombreux travaux qu'il menait de front sans jamais se lasser, était un volume sur la Voix de l'épiscopat, et, dans ce but, il collectionnait toutes les lettres pastorales des évêques de tous les pays du monde, voulant ainsi montrer que ces voix si diverses ne sont au fond, que l'expression de la même foi et que ces affirmations multipliées sur tous les points du globe ne font que confirmer l'admirable unité de l'Eglise. Un autre travail, malheureusement en préparation et pour lequel il avait amassé des recherches considérables, plus de 80 volumes manuscrits, devait s'intituler
    Gloires de l'épiscopat catholique. Il avait dressé la liste épiscopale de chaque siège, chose qui si elle est facile pour les sièges résidentiels après les travaux de Gams et d'Eubel, devient énormément difficile quand il s'agit des évêchés tilulaires.
    C'est de ces cartons que sortaient des monographies d'évêchés résidentiels ou titulaires qui paraissaient dans des revues à l'occasion de telle ou de telle nomination. L'
    Annuaire avait été heureux d'y puiser des renseignements, qu'il lui était ensuite facile de compléter.
    Mgr Maret avait été nommé camérier secret
    [3] de Sa Sainteté par Pie IX le 24 mai 1875 et Léon XIII lui avait confirmé ce titre le 31 mai 1878, bien que la Gerarchia [4] n'en parle point. La rénovation a dû, comme en d'autres cas, être verbale. Il était depuis plus de 30 ans vicaire général de Sura [5], collaborait régulièrement aux Annales catholiques de Paris et s'était retiré à Villeurbanne (diocèse de Lyon), dans une villa qu'il avait baptisée du nom de Mon Repos. [6] C'est là qu'il est mort dans sa quatre-vingtième année à la fin du mois de novembre 1908.

Les approximations et les quelques inexactitudes de cette biographie s'expliquent par la discretion de l'abbé Maret sur son passé, l'application à ne pas tisser de lien avec sa vie antérieure et peut-être la volonté de ses biographes à ne pas évoquer ce passé sulfureux.
Dans l'article qui lui avait été consacré par la Biographie nationale des contemporains, émanation d'une société de gens de lettres, en 1878, on soulignait déjà le talent littéraire du prélat et on énumérait les textes qu'il avait publiés entre 1856 et 1878. C'est à cette activité littéraire et historique, changeant simplement de pseudonyme, qu'il devait consacrer les vingt dernières années de sa vie. Il en reste de nombreuses traces, extraits et citations, dans la littérature catholique.
Peu après l'annonce de sa mort, on se préoccupa du devenir de l'abondante documentation que l'abbé Maret avait rassemblée. Ainsi, par exemple cette lettre d'un de ses correspondants, publiée par L'Intermédiaire des chercheurs et curieux en janvier 1909. [7]

    Un Camérier secret de Sa Sainteté, Mgr Léon Maret, plus connu dans les lettres et le journalisme sous le nom de chanoine d'Agrigente et qui vient de mourir à Villeurbanne, près de Lyon, (Villa Mon-Repos) âgé de 83 ou 84 ans, s'était pendant sa longue existence attelé à un travail gigantesque qu'il intitulait Les Gloires de l'épiscopat catholique. Ce n'était autre que la biographie de tous les évèques du Monde catholique, qu'ils fussent résidentiels ou titulaires. Ces notes formaient 80 volumes qui n'ont jamais été publiés, le prélat estimant que ses recherches n'étaient point encore assez complètes et désirant combler les lacunes existant dans ses listes. Il est mort il y a deux mois, et il faudrait s'adresser à ses héritiers pour essayer de mettre en valeur les immenses matériaux accumulés et qui menacent de se perdre. [8] Ce prélat, avec qui je correspondais, avait tiré, pour les publier dans des revues ecclésiastiques, de nombreuses monographies d'évêchés titulaires et quand parmi ses connaissances quelqu'un était promu à titre d'auxiliaire ou de coadjuteur, à quelque siège titulaire, il s'empressait de lui souhaiter la bienvenue en lui donnant l'histoire de son siège et la biographie abrégée de ses prédécesseurs.

Qu'il s'agisse de critiques ou de commentaires littéraires d'ouvrages dus à des ecclésiastiques, de notices biographiques ou historiques, les écrits de l'abbé Maret abondent dans le Salut Public de Lyon, les Annales Catholiques de Paris et de l'Unita Catholica de Florence mais aussi dans les Bulletins de Sociétés savantes (études scientifiques et archéologiques). On les dit parfois « entachés de nombreuses erreurs, pour les dates spécialement » mais aussi rédigés « avec une grâce charmante ». Ils s'étalent de 1892 à 1908.

    [...] Le 16 janvier 1892, il commença ses Nécrologies épiscopales des évêques français décédés de 1800 à 1900, œuvre immense et pleine d'intérêt qui reste malheureusement inachevée. La nécrologie de Mgr Borderies, évèque de Versailles dont nous continuons la publication termine seulement l'année 1832. Possédant des documents nombreux sur tout ce qui concernait l'épiscopat, le Chanoine d'Agrigente sut les mettre au service de sa vaste érudition et entreprit les Ephémérides qui constituaient, ainsi qu'il le disait lui-même, un travail de Bénédictin.

    [...] Rétiré depuis de longues années dans sa retraite de Villeurbanne, il continuait, en dépit de ''âge, à travailler et à combattre pour la gloire de ''Eglise, et, il y a quelques semaines encore, il nous envoyait un article sur la fête des morts ... [9]

L'abbé Maret est mort à son domicile du Chemin des Roulets à Villeurbanne, le 21 novembre 1908.
Il a été inhumé au cimetière communal du Vésinet.

La tombe délabrée de l'ancien curé du Vésinet dont l'inscription en latin, devenue presque indéchiffrable, incite à l'oubli (shv, 2013)

...QUIS SIS VIATOR DEUM PRECARE UT ANIMA EJUS REQUIESCAT IN PACE.

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    Notes et Sources :

    [1] Il est né à Billom (Puy de Dôme), le 20 mai 1830 d'un père praticien. Sous le pseudonyme de Léon de Billom, il a publié un grand nombre d'articles à caractère historique ou touristique, au début de sa vie d'ecclésiastique.

    [2] Le Monde, journal quotidien publié à partir de 1861, faisant suite à la fusion de l'Univers et de La Voix de la Vérité.

    [3] Officier de la chambre du pape ou d'un cardinal. les camériers sont divisés en plusieurs catégories. On distingue les camériers secrets des camériers d'honneur. Les camériers secrets avaient la charge de l'antichambre dite "secrète" du pape, où attendaient les personnes reçues en audience privée, les camériers d'honneur ayant la charge de l'antichambre d'honneur menant à la salle du trône où le pape recevait en audience publique. Les Camériers sont attachés à la personne du pape et conservent leur fonction jusqu'à la mort du pontife. Le titre, qui est essentiellement honorifique, est source de revenu. Il peut être confirmé successivement par plusieurs papes.

    [4] Gerarchia. - Gerarchia Cattolica e la Famiglia pontifichia. Publication qui remonte à Pie IX (1846–1878), en français "La hiérarchie catholique et la famille pontificale". On peut encore consulter dans différentes bibliothèques les volumes qui se sont succédé des origines à nos jours retraçant l’histoire de l’Église et de sa diffusion progressive dans le monde entier. Ils sont complétés désormais par l’Annuaire pontifical, livre également publié chaque année par la Secrétairerie d’État sous le titre d’Annuarium statisticum Ecclesiae. Cet ouvrage présente des données statistiques attentivement examinées et confrontées, pays par pays, continent par continent, ainsi qu’une étude comparative sur les différentes formes d’apostolat existant dans l’Église.

    [5] Une fois encore, il y a confusion avec Mgr Henri-Louis-Charles Maret, théologien et prélat français, (1805-1884) qui fut évêque in partibus de Sura (titre honorifique) après avoir été archevèque de Lepante.

    [6] Une clinique de Villeurbanne porte depuis une soixantaine d'années le nom de Mon Repos mais rien ne permet d'établir un lien entre le dernier domicile de l'ecclésiastique et l'établissement de soins.

    [7] Albert Battandier. L'Intermédiaire des chercheurs et curieux : questions et réponses, communications diverses à l'usage de tous, littérateurs et gens du monde, artistes, bibliophiles, archéologues, généalogistes, etc. janvier 1909.

    [8] En 1975, le Catalogue de la British Library intégra une collection "Collection of pastoral letters, ca. 1700-ca. 1900 : 16 volumes of Italian pastoral letters, dating from about 1700 to about 1900, arranged geographically, formerly part of the library of J B Léon Maret". Elle provenait d'un don de T. Besterman, le 30 avril 1969. Theodore Besterman (1904-1976) est un bibliophile, biographe et traducteur réputé qui fut aussi chercheur en psychiatrie.

    [9] Selon Etienne Chantrel, Annales catholiques : revue religieuse hebdomadaire de la France et de l'Église (Paris) 19 décembre 1908.


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