D'après Cécile Tardif, Portrait de Cécile Chaminade, Editions  Louise Courteau, Montréal, 1993.

La famille Chaminade arrive au Vésinet

Hippolyte Chaminade fait partie de cette bourgeoisie parisienne qui, quels que soient ses revenus, attache une grande importance à son train de vie et en premier lieu à son logement comme le démontrent amplement ses transactions immobilières. De plus, il sait flairer les bonnes affaires. Et, sous le Second Empire, les bonnes affaires ne manquent pas. [...]
Le Vésinet, ce "modèle français d'urbanisme paysager", avait tout en sa faveur pour attirer l'attention de l'homme d'affaires avisé qu'est M. Chaminade. Sans doute voit-il là une affaire intéressante. Et puis, comment résister à l'attrait d'une villégiature, presque de campagne, où se reposer, à l'instar des bourgeois prospères, des soucis de la ville ?
En 1864, au Vésinet, il est encore possible de se porter acquéreur de terrains fort bien situés. En avril et en mai, plusieurs sont mis aux enchères. Les prix atteints alors sont les plus bas depuis le début des adjudications en 1859. Le marché s'essouffle, les acheteurs se font plus rares.

  • 47e Adjudication du 24 Avril 1864

Deux feux successivement allumés s'étant éteints sans nouvelle enchère, le terrain dont il s'agit a été adjugé par Me Moisson, notaire, du consentement de M. Buraud, à M. Gagné ès nom sus nommé (1).
Ce M. Gagné est en fait le fondé de pouvoir de M. Chaminade qui vient ainsi de faire l'acquisition d'un premier terrain, le n°71 de l'îlot 8, contenant 1137 m², adjugé à 1200 francs. Puis, pour 1700 francs, il acquiert un second terrain contigu au terrain précédent, le n°72, par l'entremise de son beau-frère et mandataire Ludovic Courtin, lequel en profite pour se porter lui aussi acquéreur d'un terrain faisant presque face à ceux de M. Chaminade.[4]

Plan général de Lotissement - Ilot 8.

n° du lot

Contenance

Adjugé pour

n°71

1137.15 m²

1200frs

n°71b

307.37 m²

 

n°72

1748.37 m²

1700frs

n°73

1531.70 m²

2000frs

n°73b

1364.54 m²

1500frs

n°103 (2)

1581.67 m²

4400frs (*)




(*) prix incluant le lot 71b

Les lots achetés par M. Chaminade sont entourés de violet

Le 22 mai, M. Chaminade est lui-même présent à une autre séance d'adjudication lors de laquelle il rafle le terrain n°73 bis (1364m²) pour 1500 francs. Mais, entre le n°72 et le n°73 bis, il y a ... le n°73! Qui lui a échappé en avril précédent. Qu'à cela ne tienne! en septembre, moyennant une somme de 2000 francs, M. Chaminade rachète à M. Valentin, un futur voisin de la rue de Provence, ce terrain qui avait été adjugé à 1200 francs. Ou bien ce M. Valentin est lui aussi un homme d'affaires avisé — il vient de réaliser un profit de 66 % en cinq mois ! —, ou bien M. Chaminade tient vraiment à posséder ce terrain !

Pierre Hippolyte Chaminade (1826-1887)
et son fils Henri (1855-1933) dans le jardin du Vésinet vers 1869

L'heureux propriétaire peut enfin procéder à la construction de la villa de ses rêves. Pourtant, le bonheur de M. Chaminade n'est pas complet. Comment, en effet, s'empêcher de regarder avec envie ce petit n°71 bis, cette toute petite parcelle de terrain en triangle, à l'angle de la route de Ceinture et de l'allée du Lac Inférieur, qui compléterait si admirablement bien son domaine... Helàs sur ce terrain, il y a une maison de garde qui appartient à M. Pallu lui-même et à laquelle celui-ci semble tenir. Mais à tout problème, il y a, paraît-il, une solution. Le 17 décembre 1865, M. Chaminade a résolu son problème : il a réussi à convaincre M. Pallu de lui vendre, pour 4400 francs, son petit triangle et accessoirement — pourquoi pas? — le terrain n°103 (2). Comment ? Eh bien, c'est simple M. Chaminade fera démolir la maison de garde et en fera construire une autre, en tous points semblable et en état d'être habitée, dans un délai de six mois!
Le moins qu'on puisse dire, c'est que M. Chaminade est un homme déterminé. [...] Le père de Cécile se trouve donc maintenant propriétaire de lots contigus d'une contenance superficielle de 6088 mètres et 86 centièmes, avec façade principale sur la route de Ceinture, rive gauche (3). Une superficie plus que respectable, même en cette époque bénie où les terrains ne se vendent pas encore à prix d'or, car la superficie moyenne des propriétés varie de 1900 m² à 3000 m², certaines atteignant les 6700 m².
Les terrains de M. Chaminade sont particulièrement bien situés: assez près de la gare pour qu'on y accède à pied par la reposante avenue de la Princesse ou par l'allée du parc ombragé; assez éloignés quand même pour qu'on ne soit pas incommodé par la circulation ferroviaire ou par l'activité commerciale du futur centre de la commune [en plein chantier].
M. Chaminade clôture les lots tel que cela est exigé par le cahier des charges, puis, vers le mois d'avril 1865, la famille emménage dans un beau pavillon, qui se découpe, tout blanc, sur un écran de verdure.

La maison de la famille Chaminade vers 1900.
au n°39, boulevard du Midi, qui deviendra le boulevard d'italie en 1919,
au n°41, boulevard du Président-Roosevelt depuis 1945

S'il ne constitue pas l'une des plus belles réussites de cette perle architecturale qu'est Le Vésinet, le pavillon des Chaminade n'en a pas moins fière allure, et encore aujourd'hui il attire les regards admiratifs. Une allée fermée d'une porte cochère mène à l'entrée qui donne sur un vestibule de marbre, spacieux et majestueux, et qui se laisse deviner derrière deux immenses portes dont la partie supérieure est vitrée. À droite en entrant se trouve la salle à manger avec son magnifique plancher de bois en motifs de chevrons bordés de longues lattes. À gauche, le salon, impressionnant avec ses deux pianos Érard — un piano droit dans l'angle de la pièce et un piano à queue qui lui fait dos — un salon qui sera bientôt témoin de plusieurs soirées musicales. Au premier étage, auquel on accède par un somptueux escalier de marbre, se trouvent les chambres et la salle de bains; au deuxième étage, les chambres des amis, des domestiques et, plus tard, la salle de musique de Cécile.

Le caveau familial Chaminade-Courtin, au Cimetière de Croissy, aujourd'hui.

Au moment où la famille s'installe au Vésinet, le quartier choisi relève encore de la Commune de Croissy. C'est dans le cimetière de cette localité que la famille Chaminade-Courtin acquiert un caveau. Le premier à y être enseveli est le grand-père, Louis Chaminade (1783-1874). Suivront, durant le demi siècle de présence de la famille au Vésinet, Louise Chaminade (1854-1885), Pierre Chaminade (1826-1887), Henriette (1863-1900), Louise de Lagrange, épouse Courtin (1802-1900), Charles Courtin (1830-1903), Louis M Carbonel (18/11/1906), le mari de Cécile, Sylvia Moszkowski (1889-1906), Ludovic Courtin (1838-1909), Stéphanie Chaminade (1825-1910). Comme on le sait, Cécile Chaminade, est décédée à Monte-Carlo. Elle a été inhumée au cimetière de Monaco qui domine les flots bleus, à l'ombre du Jardin exotique [5].

1) Archives départementales des Yvelines, cote 3E Saint-Germain-en-Laye, 1864, 1865 et 1875.
2) M. Chaminade n'a pas exploité le n°103 et l'a revendu en 1875.
3) La maison portera ensuite le n°39, boulevard du Midi, qui deviendra le boulevard d'italie en 1919, puis le boulevard du Président-Roosevelt en 1945 (n°41)
4) C'est dans la propriété Courtin, lors de sa vente et son morcellement que sera tracée l'Allée Cécile-Chaminade.
5) Depuis quelques années, elle repose au cimetière de Passy, à Paris.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2008 - www.histoire-vesinet.org