Journal des chasseurs, 6e année, octobre 1841

Les dernières chasses dans la forêt du Vézinet

Nous n'oublierons jamais un jour d'ouverture dans la forêt du Vézinet [sic]. 
Le Vésinet était une annexe de la riche et belle conservation de Saint-Germain-en-Laye, une sorte de superfétation trop mesquine pour les plaisirs de Sa Majesté et où beaucoup de personnes, grâce aux munificences de la couronne, obtenaient la permission de tuer le gibier du roi. [1]
Plus de deux cents permissionnaires [1], escortés d'un pareil nombre d'amis, avaient battu la forêt dans tous les sens depuis six heures du matin jusqu'à cinq heures du soir, au risque de tirer les uns sur les autres. A la fin de cette pénible campagne, nous nous trouvâmes une soixantaine de chasseurs au débarcadère du Pecq [2], tous l'air soucieux et l'oreille basse, ployant sous le poids.... de la fatigue. D'abord on se regarda sans mot dire, puis on se rapprocha, on se questionna ; aucun de nous n'avait aperçu la queue d'un lièvre, l'ombre d'un oiseau. Les chasseurs qui s'étaient répandus dans d'autres directions, n'avaient pas été plus favorisés du sort. Seulement on avait remarqué un seul chasseur montant gaillardement la côte de Saint-Germain. Il portait dans son carnier... un lapin. C'était tout le résultat de la chasse d'ouverture.
Le fait fut constaté, et nous pensons qu'il en fut dressé procès-verbal authentique dans plus d'une mémoire rancuneuse.


Illustration - Journal des chasseurs, 1841.

En exposant ces faits, connus de tous les chasseurs, en les accompagnant d'observations que tant de gens se sont déjà faites, loin de nous l'intention d'attaquer une administration que nous honorons, et où nous n'avons trouvé au besoin qu'accueil et obligeance ; mais nous ayons pensé qu'il était de notre devoir, de notre spécialité, de l éclairer sur ses propres intérêts, qui sont aussi ceux de la chasse en France; car où se réfugiera le gibier, lorsqu'il aura été complètement expulsé des forêts royales, sa patrie d'adoption ?
Croit-on que nous avons inventé les faits, exagéré nos impressions, forcé nos couleurs ? Loin de là, nous nous sommes étudiés à adoucir les teintes, et nous n'avons fait que soulever un coin du rideau, craignant que trop d'individus ne se reconnussent, si le tableau était mis au grand jour dans toute sa nudité, plus que grotesque.


Illustration - Journal des Chasseurs, 1842

En doute-t-on ? Et faut-il, pour convaincre les esprits incrédules, dérouler notre sac et en montrer le fond ? Sans parler ici de ces chasseurs hautains qui insultent grossièrement de pauvres gardes, parce qu ils font leur métier et obéissent à leur consigne, et qui les menacent sans scrupule de tout le poids d'un crédit, imaginaire ou vrai; sans citer ces grands seigneurs, députés et journalistes qui, refusant d'exhiber une autorisation dont ils n'ont point voulu solliciter la faveur, jettent en ricanant leur nom au nez du forestier en lui disant : mon cher, faites votre devoir ; sans nommer certains membres avancés de l'opposition qui repoussent dédaigneusement une permission qu'on leur offre, et ensuite vont incognito chasser comme amis d'un permissionnaire étranger.

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    Notes:

    [1] Cette précision est tirée d'un autre numéro du même journal, octobre 1850.

    [1] Les détenteurs du permis de chasser. Après avoir accordé des permissions gratuites, l’État en avait fait de même pour ses forêts domaniales à partir de 1832. Il en étendra même le principe aux forêts de l’ancienne Liste Civile entre 1848 et 1852. Leur location s’était rapidement développée, connaissant une incessante augmentation des prix, notamment en Île-de-France et dans le quart nord-est du pays.

    [2] Le quai de la première gare du Pecq, terminus de la ligne avant la mise en service du chemin de fer atmosphérique en 1847.


Société d'Histoire du Vésinet, 2017- www.histoire-vesinet.org