D'après l'exposition sur Le Quartier des Charmettes, SHV, 2011.

La Commune Libre du Petit-Montesson – Pages & Charmettes

A la fin des années 1920, le Hameau du Petit Montesson, longtemps isolé au milieu des bois taillis qui avaient reconquis les parcelles invendues, est devenu le centre d'un nouveau quartier, plus dense et peuplé qu'ailleurs, né des multiples opérations immobilières réalisées depuis la fin de la Grande Guerre.
Cette nouvelle population n'est pas constituée de villégiateurs fortunés et « nomades » comme ceux qui ont peuplé une grande partie de la commune depuis sa fondation. Ce sont de nouveaux propriétaires qui n'ont souvent pu faire construire que grâce au prix modique des terrains rendus disponibles après une refonte du morcellement, dans des opérations de lotissement dont le Lotissement des Charmettes est le principal exemple. Cette nouvelle population constitue l'essentiel de la Commune Libre du Petit Montesson, Pages et Charmettes.

Cette « Commune Libre » est une Société (Association). Selon ses statuts, elle est formée par « un groupe d'habitants d'un quartier du Vésinet (S &  O) » et elle prend la dénomination de « Commune Libre du Petit Montesson — Pages et Charmettes ».
La Société a pour objet « de donner des fêtes publiques dans les quartiers faisant partie de son territoire ». Celui-ci est clairement délimité dans les statuts: « Le Rond-Point Royal et le Cimetière du Vésinet, d'une part et Le Pont de la Gare du Pecq et la Rue des Sablons, d'autre part ». C'est à dire qu'il recouvre presque parfaitement celui de notre Quartier des Charmettes d'aujourd'hui. « La Société a pour but de distribuer des secours aux familles nécessiteuses et distraire les enfants de son territoire. Ces secours seront effectués en nature et répartis judicieusement après une enquête discrète. »

Les statuts de la Société
Ils sont déposés en octobre 1927.

Article 1er. — Il est formé entre un groupe d'habitants d'un quartier du Vésinet (S & O) une Société régie par les présents Statuts.

Art.2 — La Société prend la dénomination de " Commune Libre du Petit Montesson — Pages et Charmettes" .

Art.3 — Le Siège Social, dénommé “Libre” est établi, route de Montesson, n°15. Il pourra être transporté en tout autre endroit par simple décision du Conseil d'Administration.

Art.4 — La Société a pour objet de donner des fêtes publiques dans les quartiers faisant partie de son territoire, celui-ci sera délimité par: Le Rond-Point Royal et le Cimetière du Vésinet, d'une part et Le Pont de la Gare du Pecq et la Rue des Sablons, d'autre part.

Art.5 — La Société a pour but de distribuer des secours aux familles nécessiteuses et distraire les enfants de son territoire. Ces secours seront effectués en nature et répartis judicieusement après une enquête discrète.

Art.6 — Toute personne âgée de 25 ans au moins pourra faire partie de la société. Les frais d'inscription sont fixés à 10 frs mais pourront être augmentés sur une simple décision du Conseil d'Administration.

Art.7 — Toute personne remplissant les conditions prévues par l'article 6 et désirant faire partie de la société devra être présentée par deux membres et son admission sera soumise à l'agrément des sociétaires.

Art.8 — La Société est administrée par un Conseil d'Administration composé de 10 membres qui prendront nom de " Conseillers municipaux Libres" . Ils seront nommés pour une période de 4 ans par une assemblée générale et à la majorité absolue quel que soit le nombre de personnes présentes.

Art. 9 — À l'expiration du délai prévu (4 ans) la totalité du Conseil sera renouvelée dans les conditions mentionnées à l'article 8. Les membres sortants sont rééligibles.

Art. 10 — Le Conseil d'Administration pourra prendre toutes les décisions qu'il croira bonnes dans l'intérêt général de la société.

Art. 11— Pour la validité des délibérations du Conseil, la présence de la moitié au moins des membres en fonction est nécessaire. Les décisions seront prises à la majorité des voix. En cas de partage, la voix du Président est prépondérante.

Art. 12— Le Conseil d'Administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour la gestion et la bonne marche de la société.

Art. 13 — Le Conseil d'Administration peut déléguer tout ou partie de ses pouvoirs à un ou plusieurs administrateurs.

Art. 14 —Toutes les discussions politiques ou religieuses sont rigoureusement interdites au cours des réunions.

Art. 15 — La Société pourra s'adjoindre le concours de tous groupements qu'elle jugera convenables à la condition expresse que ces groupements ne grèvent pas son budget et vivent par leurs propres moyens.

Art. 16 — Toutes les fonctions de la société seront remplies bénévolement.

Art. 17 — La dissolution de la société ne pourra être prononcée que par une assemblée générale et avec une majorité égale aux trois quarts des membres présents.

Art. 18 — En cas de dissolution les fonds représentant l'actif liquide de la société seront versés entre les mains de Monsieur le Maire du Vésinet pour être distribués à des œuvres sociales à sa convenance.

Art. 19 — Les présents statuts seront soumis à l'agrément de la Ville du Vésinet pour être déposés à la Préfecture du Département de la Seine-et-Oise et inscrits au journal Officiel de la République française.

La Commune Libre est administrée par un Conseil d'Administration composé de 10 membres « qui prendront nom de Conseillers municipaux Libres », élus pour 4 ans (comme le vrai conseil municipal à l'époque), par les sociétaires, des habitants du quartier, qui ont obtenu leur « carte d'électeur » pour la modique somme de 10 francs (voire 5 francs selon d'autres sources). Les Cartes sont à retirer « à la Mairie libre » c'est à dire au Café l'Ami Jean Bard, domicile du Maire Libre.

Les personnages de la Commune Libre

Des cartes postales ont conservé le souvenir de quelques personnages marquants de cette Commune libre :

Le Maire Prosper Ier (Prosper Dodin, propriétaire duCafé l'Ami Jean Bard,

« maire » de 1926 à 1931)

Jean Ier (Jean Planet) lui succèdera en 1931.

Le Garde champêtre Masson (Eugène Masson, 69 ans, maçon).
Ce n'est pas un vrai garde champêtre et la ville du Vésinet a, à cette époque, une police municipale.

   

La Reine, Huguette Chauffel, et ses Demoiselles d'Honneur (1926)

La Reine, Mlle Philippe, et ses Demoiselles d'Honneur (1927)

Pour concourir, les jeunes filles doivent habiter depuis un an au moins, l'un des trois quartiers de la Commune Libre, Le Petit-Montesson, Les Pages ou Les Charmettes. Elles sont désignées par un jury, avant la fête qu'elles présideront. Les choses se passent en famille. La première élue, Mlle Chauffel (16 ans), est la fille du secrétaire de la Société. L'année suivante, elle transmettra sa couronne à Mlle Philippe, elle-même fille d'un des administrateurs qui deviendra trésorier par la suite.
Le dévouement de M. Dodin, le cafetier de l'Ami Jean-Bard, qui anima durant 6 ans la Commune Libre, ne fut pas récompensé. Ayant cédé l'exploitation de son café à ses successeurs, M. et Mme Douaud, se retrouva bientôt seul chez lui, dans un petit appartement de Chatou, avec pour unique compagnie son petit chien. Hélas, celui-ci fut étranglé par un molosse du voisinage, et son maître ne put le supporter. Le 28 avril 1941, Prosper Dodin se donna la mort avec son revolver. Il avait 71 ans.

Les activités de la commune libre

De nombreuses coupures de presse dans les journaux locaux de l'époque, rendent compte des activités de la Commune libre, entre 1926, date de son apparition et 1937. Ces articles sont souvent signés " Un camarade" .
Les principales manifestations sont, en été (fin juin), une grande fête « foraine » le long de la route de Montesson avec défilé de chars, feux d'artifices, et en hiver un « arbre de Noël » qui se déroule vers la mi-janvier et permet, grâce à une collecte, d'offrir des jouets aux enfants du quartier, âgés de moins de dix ans. C'est Monsieur Warré, rue des Charmes, qui met son vaste local à la disposition de la Commune Libre, la Salle Warré en 1926. A titre d'exemple, le programme de juin 1927 est reproduit ci-dessous :

Fête Communale de la Commune Libre du Petit Montesson – Pages – Charmettes

Le Cri des cantons de Saint-Germain-en-Laye, Maisons-Laffitte, Marly-le-Roi, 18 juin 1927

Samedi 18 juin (1927)

    A 21h30: Grande Retraite aux Flambeaux.

Dimanche 19 juin

    A 11 heures : Vin d'honneur, offert à la Municipalité (Centre) et aux Sociétés locales de la Commune libre

    A 14 heures : Couronnement de la Reine et des Demoiselles d'honneur.

    Théâtre de verdure : Les Romanesques (Edmond Rostand), dans le superbe parc de la Commune libre,

    Pendant les entr'actes l'Accord Parfait du Vésinet exécutera les meilleurs morceaux de son Répertoire.

    A 16heures 30 : lâcher de 2.000 pigeons voyageurs. [Par la très dynamique Société Colombophile du Vésinet « L'Hirondelle » et ses correspondants.]

    A 16h45 : Grande Cavalcade, nombreux chars.

    A 17 heures : Concert (Place de la Mairie libre) par l'Union Musicale Montessonnaise, sous la direction de F. Pénicot.

    A 22 heures : Grand Bal Populaire.

Jeudi 23 juin

    A 15 heures : Jeux pour les enfants de la Commune libre.

    A 21 heures (Rond-Point Royal) Grande Audition publique par l'Accord Parfait du Vésinet sous la direction de E. Ducouret.

    Pendant la Fête : Illuminations, Manèges, Baraques Foraines.

Le Maire, Prosper 1er

L'itinéraire du défilé de char est détaillé en 1926 : « Mairie libre (Café Jean Bard), place du Château (Montesson), route du Vésinet, rue Traversière, rue des Charmes, avenue du Belloy, allée de la Meute, chemin du Tour-du-Bois, rue Albert Ier, boulevard de Belgique, avenue des Courlis, avenue des Pages, Mairie libre ». On remarquera que la Commune libre associe à ses activités les quelques habitants de Chatou occupant des maisons toutes proches, rue des Landes et rue des Sablons, voire quelques Montessonnais qui sont, à cette époque, très isolés de leurs communes respectives.

La Commune Libre a sa propre formation musicale, « les Bigophones » (on lit Bigophones dans les articles mais on écrit Bigotphones dans les lettres manuscrites !), et sa « Chorale du Petit Montesson » les fanfares du voisinage, de Montesson ou du Vésinet Centre, participent à la fête. Et réciproquement, les musiciens et les choristes de la Commune libre se produisent à la fête municipale.
Le Quartier a aussi sa formation sportive, le Vélo-club des Charmettes (dont le maire du Vésinet et son premier adjoint sont président et vice-président d'honneur) qui a aussi une section " ballons" et organise des matches de foot !). Il organisera des courses cyclistes comme celle du 2o juin 1926, sur 85 km (Le Vésinet-Mantes et retour). Des pigeons voyageurs, lâchés le long du parcours rapportent les péripéties de la course. Une autre année (1933), c'est avec le concours de l'Automobile-club qu'est organisé un " Rallye-ballon" avec un aérostier connu, Charles Riff, sous le patronage du Journal.
Les activités se déroulent dans des sites du Quartier, comme l'Ile des Ibis et son Théâtre de Verdure ou le Rond-Point Royal où le Cerf sera installé en 1928 et inauguré le 10 juin 1928, dans le cadre de la fête de la commune libre du Petit Montesson-Charmettes, « au son des cors de chasse et de joyeuses chansons ». On pratique la course en sacs, la course à la brouette, le jeu de ciseaux. Des concerts et des spectacles sont assurés par des formations et des troupes des environs : L'Amicale des Anciens Elèves, l'Etandard, la Société des Trompes de Chasse, la Saint-Hubert de la Terrasse de St-Germain, les Super-as accordéonistes spécialistes du Tour de France. On signale aussi, dans la presse la présence d'artistes de l'Opéra et du Covent Garden de Londres.

Mais l'hiver, à partir de 1928, l'Arbre de Noël est organisé dans la Salle des Fêtes Municipale, avenue des Pages. Une distribution de cadeaux (plus de 2 000 jouets) aux enfants de la Commune Libre, âgés de 10 ans au plus, constitue l'événement principal. Il est accompagnée de quelques attractions : audition des Bigophones, prestidigitateur, spectacle de Guignol (le plus grand, venu de la capitale !). Et puis on " tire les Rois" et on distribue des oranges !


Les gosses en 1929.

Photo de groupe des enfants avec le Garde-Champêtre Masson,le « Maire » et un policier municipal.

La principale activité de la Commune libre concerne ses enfants, ses " gosses" . Il s'agit de collecter des fonds pour leur offrir des jouets lors d'un Arbre de Noël, d'organiser des Matinées enfantines, avec des spectacles de marionnettes, des tours de magie, .... mais aussi de fournir des aides en nature à des familles dans le besoin.

TPLG (Tout pour les Gosses) : Cette devise de la Commune libre prend tout son sens, les années suivantes, lorsqu'elle crée l'œuvre « Les gosses à la mer » : des enfants du quartier seront envoyés en vacances des sorties champêtres seront organisées.

Le 28 juin 1931, la Commune libre reçoit le renfort de Joséphine Baker – généreuse donatrice de la Société – qui cette fois s'est déplacée pour la fête et participe au défilé de Chars dans le vieux tacot d'Amédée Rossi, garagiste dans le quartier (rue des Charmes) auréolé de gloire de sa participation aux 24 heures du Mans, en 1924.
Au volant d'une Georges IRAT, il avait couru 7 tours (un peu plus de 120 km) avant d'abandonner sur ennuis mécaniques.

Joséphine ne s'était pas encore découvert cette fameuse vocation de mère de famille nombreuse. Elle était tout simplement, mais avec quel succès, la généreuse marraine des jeunes citoyens de la commune libre de notre coin. Est-ce là le point de départ de son grand amour pour les gosses qu'elle recueille aux quatre coins de l'Univers ?
Elle seule pourrait le dire.

La fête, ce sont aussi des chansons. Deux nous sont parvenues : Les Bout'en train (à chanter sur l'air connu Le Trompette en Bois) qui proclame : Vive le Petit Montesson/Les Charmettes (bis)/Là ce ne sont que rires et chansons.... La rengaine fit la joie des premières saisons. Elle fut détrônée par la Chanson du Coin (Paroles de Bertal-Maubon, musique de Léon Raiter) qui se chantait sur l'air de Michel où es-tu ? le succès des mêmes auteurs, dont nous conservons pieusement une partition.
Interprètée par Renelly accompagné par Gégène, elle était vendue par « Mlle Joséphine Baker, la célèbre vedette du Casino de Paris » (qui n'a pas poussé l'abnégation jusqu'à l'inscrire à son répertoire !).

Coin! coin! c’est la chanson du coin !

Point ! point ! la chanson du Rond-Point !

Coin ! coin ! refrain pouet pouette...

Chant des Charmettes...

Et Montesson

Ron ! ron !

Le contexte politique

Cette Commune Libre n'a rien de subversif. Ses statuts ont été soumis à l'approbation de la Mairie du Vésinet avant d'être déposés à la Préfecture. On s'interdit « toutes les discussions politiques ou religieuses » en son sein. Et le Maire entretient les meilleurs rapports avec son Collègue du Vésinet Centre comme certaines lettres en attestent.
La Commune Libre a vu le jour en 1926, avec la bénédiction de la municipalité « républicaine radicale » (de gauche) de Camille Saulnier. Les élections de 1929 donnent la Mairie aux « républicains libéraux » (de droite) de Henri Cloppet. Des articles de presse et la « Lettre de Benoist », un courrier de lecteur paru dans Le Cri, un journal local, donnent des indications sur le climat de l'élection et présentent les Charmettes comme un « quartier de gauche ». Mais les relations entre la Commune Libre et la Commune du Vésinet ne semblent pas avoir pâti de ce changement. Dans Le Populaire de septembre 1931, la convocation en séance plénière de la section locale de la S.F.I.O. est annoncée « dans le Café de la Commune Libre du Petit Montesson ».

Il existait à cette époque de nombreuses « communes libres » en particulier celle de la « Montagne du Bon-Air » (allusion à la Montagne-Bon-Air, nom révolutionnaire de St-Germain-en-Laye), fondée en 1927, avec le concours d'une délégation de celle du Vésinet. Cette tendance suscite certaines marques d'inquiétudes comme celle rapportée par le chroniqueur de journal Le Cri : « Actuellement les communes libres foisonnent. Les gardes champêtres à baudrier d'autrefois, à moustache énorme, les fanfares de bigophones, naissent comme les feuilles d'impôts. Autrefois, pour équilibrer leurs Phinances [sic], les Communes libres comptaient sur leur exportation. La Commune libre de Montmartre faisait payer ses déplacements extra-muros à des tarifs de ténors. Or devant la concurrence cette source de ressources se tarit ». En présence de cette crise, M. Reibel, [Charles Reibel, 1882-1956] Député de Seine-et-Oise, a écrit au Ministre de l'Intérieur la lettre suivante :

« Monsieur le Ministre,

« La surproduction des communes libres, constitue un réel danger pour le développement, la vitalité, et les ressources budgétaires de ces communes libres, qui ont représenté au cours de ces dernières années l'esprit français, la gaieté gauloise. Actuellement, chaque commune possède à côté de son « Conseil Municipal » issu du Suffrage universel, un " Conseil de la Commune Libre" né des suffrages des électeurs libres.

Cette surproduction est des plus fâcheuses. Comme l'on a protégé le Camembert, le Roquefort, les crus célèbres, les eaux minérales, il est nécessaire de protéger les premières communes libres, et d'éviter à ces groupements dont la solidarité et la gaieté sont appréciées de tous, une concurrence aussi fâcheuse que déloyale.

Il ne faut pas que des mauvais garnements culottés dans des cretonnes imprimées, coiffés de hauts de forme multicolores, puissent venir troubler la sérénité de l'action bienfaisante et morale de la Commune libre de Montmartre, de celle du Petit Montesson-les Charmettes, de celles de la Montagne du Bon-Air.

J'ai l'honneur de vous demander à ce que des dispositions soient prises par votre ministère, afin que les Communes libres anciennes et régulièrement classées, soient protégées, etc... ».

Charles Reibel

La Commune Libre aura duré trois mandats. La dernière dont on ait trouvé trace est celle de 1937. Le contexte international de 1938 et 1939 explique aisément sa mise en sommeil. Cependant, il faut savoir qu’en France, on recensait encore de nos jours (en 2011) 129 communes libres.


Société d'Histoire du Vésinet, 2011-2018 • www.histoire-vesinet.org