D'après , le Journal du marquis de Dangeau publié en entier pour la première fois par MM. Soulié, Dussieux, de Chennevières, Mantz, de Montaiglon - Firmin Didot et frères, Paris 1854-1858 (tomes 1 à 15)

Le Vésinet dans le Journal du Marquis de Dangeau

Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, né au château de Dangeau, Eure-et-Loir, le 21 septembre 1638 et mort à Paris le 9 septembre 1720, est un militaire, diplomate et mémorialiste, connu surtout pour son Journal où il décrit la vie à la cour de Versailles à la fin du règne de Louis XIV. Il est né calviniste mais très tôt converti au catholicisme. Il est d'abord réputé pour son habileté au jeu de cartes, au point que l'expression "jouer à la Dangeau" passe dans la langue courante et qu'il attire sur lui l'attention bienveillante de Louis XIV. En 1665, il est nommé colonel du régiment du roi, qu'il accompagne comme aide de camp dans toutes ses campagnes. Il devient, en 1667, gouverneur de Touraine et remplit plusieurs missions diplomatiques à Trèves, Mayence et Modène.
Protecteur des gens de lettres, il se lie avec Boileau, qui lui dédie sa Satire sur la noblesse. La Bruyère le dépeint dans ses Caractères sous les traits de Pamphile. Il est élu membre de l'Académie française en 1668, sans avoir rien publié, et devient en 1704 membre honoraire de l'Académie des sciences, dont il est président en 1706.
De 1684 à 1720, il tient un journal sur la vie quotidienne à la cour de Versailles. Des extraits en sont publiés par Voltaire en 1770, par Madame de Genlis en 1817 et par Pierre-Édouard Lémontey en 1818. C'est en y adjoignant des Additions que Saint-Simon entreprend d'écrire ses propres Mémoires. Les 19 volumes de l'édition complète du Journal de la cour de Louis XIV paraissent pour la première fois entre 1854 et 1860.
Le Jugement de Saint-Simon sur les Mémoires de Dangeau est très sévère et injuste dans la mesure ou l'auteur du Journal de la cour de Louis XIV a pillé sans vergogne les écrits de Dangeau. Il écrit ainsi: "Dangeau […] écrivait depuis plus de trente ans tous les soirs jusqu'aux plus fades nouvelles de la journée. Il les dictait toutes sèches, plus encore qu'on ne les trouve dans la Gazette de France. Il ne s'en cachait point, et le roi l'en plaisantait quelquefois. C'était un honnête homme et un très bon homme, mais qui ne connaissait que le feu roi et Madame de Maintenon dont il faisait ses dieux, et s'incrustait de leurs goûts et de leurs façons de penser quelles qu'elles pussent être. La fadeur et l'adulation de ses Mémoires sont encore plus dégoûtantes que leur sécheresse. Mais il ajoute tout de même en conclusion: ...quoiqu'il fût bien à souhaiter que, tels qu'ils sont, on en eût de pareils de tous les règnes
.

LeVésinet, (ou Vézinet), terre de chasses royales ne pouvait être absent des quelque 9 000 pages du Journal, écrites entre 1686 et 1720 et publiées en 19 gros volumes. On y trouve en effet une vingtaine de citations qui permettent de situer la place de cette petite forêt dans les habitudes de chasses du souverain. On note que les visites au Vésinet ont toujours lieu lorsque le roi réside à Marly.

Mercredi 4 septembre 1686, à Marly — Le roi vouloit aller tirer dans Vézinet, au-dessous de Saint-Germain; le vilain temps l'en empêcha. S.M. joua l'après-dînée au trente et quarante; le soir il y eut musique, et le roi vit danser les dames; après souper, Monseigneur joua à colin-maillard et à de petits jeux à courir.

 

Lundi 23 septembre 1686, à Marly — Le roi tint conseil le matin comme à l'ordinaire, et l'après-dînée il alla tirer dans le Vézinet; Monseigneur, madame de Bourbon, madame la princesse de Conty et toutes les dames qui savent monter à cheval allèrent joindre le roi, et l'accompagnèrent durant la chasse.

 

Jeudi 9 Aout 1696 à Marly — Le roi alla tirer dans Vésinet, et puis revint se promener dans ses jardins.

 

Vendredi 10 Aout 1696 à Marly — Le roi alla tirer l'après-dînée dans Vésinet, et la grande pluie l'obligea à en revenir de meilleure heure qu'il n'avoit résolu.

Les mousquets lourds et imprécis du temps de Louis XIII ont fait place à l'arquebuse à fusil, le fusil à pierre qui entrera dans l'équipement de l'armée française en 1671. Les premiers fusils de chasse, tirant de la grenaille, puis à deux canons, sont contemporains de la période couverte par le Journal de Dangeau. Cette chasse "après dinée" (après le repas de midi) est un exercice quasi journalier auquel le roi se livre, à proximité de sa résidence. L'âge avançant, il viendra moins souvent au Vésinet, se contentant d'aller tirer dans son parc. Cette distraction est de loin la plus fréquente au point que Dangeau la mentionne souvent sans précision "Le roi alla tirer l'après-dinée " ce qui laisse penser que les visites de cette sorte au Vésinet furent bien plus nombreuses.
Souffrant de crises de goutte, le roi chasse parfois en chaise à porteur : "Le roi, après son diner, monta dans une petite chaise qu'il a fait faire pour tirer. Il tua plusieurs faisans sans mettre pied à terre; il est fort content de cette petite machine-là (16 janvier 1687)." Les crises de goutte se multipliant, le roi ira jusqu'à faire tracer une multitude d'allées dans la forêt de Saint Germain (1698-1699) pour pouvoir suivre la chasse à courre en voiture : "Le roi monta à onze heures dans sa petite calèche et alla courre le cerf; [...] Madame y va toujours dans une calèche qui suit toujours celle du roi..." (8 novembre 1709).


Louis XIV chassant au vol dans le bois du Vésinet
gravure de Gustave Doré (1861) inspirée par le Journal de Dangeau (1698).

Pendant le long séjour des souverains d'Angleterre au château de Saint-Germain, le roi leur rend fréquemment visite. Pour son plaisir et pour leur distraction Louis XIV invite ses hôtes à la chasse. On vient alors dans "la plaine de Vésinet" pour chasser au vol (on dit aussi à la volerie, ou voler), c'est à dire faire capturer le gibier en vol par un oiseau de proie dressé, plutôt en terrain découvert donc probablement sur le territoire de l'actuelle commune du Pecq, entre la Seine et le bois, non loin de la Ferme du Vésinet, qui alors appartient au roi. Les bruyères et les friches y étaient nombreuses :"terres non labourables, dépendant de ladite maison, qui sont pareillement en friches, bruyères, hayes, buissons, pâturages, quelques bois taillis de petite contenance, mal venans, de peu de valeur".

Vendredi 13 février 1693, à Marly. — Le roi alla l'après-dinée voler dans la plaine de Vésinet ; les princesses étoient à cheval ; le roi et la reine d'Angleterre étoient à la volerie, et le prince de Danemark étoit allé à Saint-Germain prendre congé de LL. MM. BB. [sic, leurs majestés britanniques] et s'y trouva aussi ; et le roi lui fit donner des chevaux pour avoir le plaisir de la chasse.

Mardi 15 mars 1695, à Marly — Le roi tint conseil le matin avec les ministres qu'il fit venir de Paris et de Versailles, car il n'y en a pas un ici; et l'après-dînée S. M. alla à la volerie dans la plaine de Vézinet; le roi et la reine d'Angleterre y vinrent. Mademoiselle qui était venue avec le roi, monta en carrosse avec la reine; les deux rois et Madame étaient à cheval ; la volerie fut fort belle. Le roi n'y avoit point encore été de cette année.

Jeudi 14 avril 1695, à Marly — Le roi alla l'après-dinée voler dans la plaine de Vézinet; il y mena Madame et Mademoiselle; le roi et la reine d'Angleterre y vinrent, et Mademoiselle durant la chasse monta en calèche avec la reine.

Vendredi 24 février 1696, à Marly — Le roi se promena tout le matin dans ses jardins, et l'après-dînée il alla voler dans la plaine de Vésinet, où le roi et la reine d'Angleterre vinrent.

Jeudi 12 avril 1696, à Marly — Le roi alla voler dans la plaine de Vésinet; les princesses étoient à cheval; ensuite il revint, descendit à la porte qui est au bas de ses jardins, où il se promena jusqu'à la nuit. La reine d'Angleterre étoit à la chasse ; le roi monta quelque temps dans son carrosse pour l'entretenir ; le roi son mari est toujours à Boulogne...

Vendredi 21 mars 1698, à Marly — Le roi devoit aller à la volerie dans la plaine de Vésinet, où le roi et la reine d'Angleterre devoient être; mais le vilain temps en a empêché, et le roi alla à Saint-Germain voir LL. MM. BB.

Jeudi 24 avril 1698, à Marly — Le roi alla à la volerie dans la plaine de Vésinet. Le roi d'Angleterre et le prince de Galles y étoient, mais la reine d'Angleterre n'y étoit point; elle est assez incommodée depuis quelques jours. Madame et madame la Duchesse y étoient cheval. On prit un milan noir, et le roi fit expédier une ordonnance de 200 écus pour le chef du vol ; il en donne autant tous les ans au premier milan noir qu'on prend devant lui. Autrefois il donnoit le cheval sur lequel il étoit monté et sa robe de chambre. L'année passée il fit donner la même somme pour un milan qu'on prit devant monseigneur.

Jeudi 19 mars 1699, à Marly — Le roi alla l'après-dinée à la volerie dans la plaine de Vésinet, au bas de Saint-Germain. Le roi y avoit donné rendez-vous au roi et à la reine d'Angleterre. Le roi y monta à cheval; la reine d'Angleterre et madame la duchesse de Bourgogne se mirent dans une calèche fermée avec les duchesses du Lude et de Tyrconnel. Le roi y alla jusqu'à la hauteur de Maisons, malgré le froid excessif qu'il faisoit...

Cet exercice peut ménager des surprises: "Le roi, au sortir de table, alla tirer en volant; il trouva, en cherchant des perdrix, un gros sanglier dans son quartier; il mit une balle dans son fusil et le tua" (30 novembre 1686). Et ces armes modernes ne sont pas sans danger: "Monseigneur le duc de Bourgogne, qui étoit allé tirer dans le parc, se blessa assez considérablement à la main, et sans son gant la pierre à fusil lui auroit coupé le tendon" (9 août 1704).
Autre occasion de chevaucher au Vésinet : les exercices militaires. C'est une distraction du roi lorsqu'il est à Marly que de venir suivre les manœuvres de sa garde, sur l'immense esplanade qui englobait tout le quartier actuel du Pont du Pecq au Rond-Point de la République.

Jeudi 17 mars 1695 à Marly. — Le roi fit la revue dans la plaine de Vézinet de son régiment des gardes; le roi et la reine d'Angleterre y étoient ; Monseigneur, qui s'était trouvé un peu incommodé le jour d'auparavant, n'y fut point. Traversonne, capitaine aux gardes, a été nommé pour major général en Flandre; Artagnan aura une inspection générale sur l'infanterie...

Jeudi 7 mars 1697 à Marly. — Le roi alla l'après-dînée dans la plaine de Vésinet, sous Saint-Germain, faire la revue de ses régiments des gardes françoises et suisses ...

Pas une seule fois durant les trente quatre ans couverts par cette chronique, il ne sera question de chasse à courre au Vésinet. C'est pourtant une forme de chasse que Louis XIV pratique volontiers et qu'il suivra jusqu'à la dernière année de sa vie. Dans la région il "courre" le cerf ou, plus souvent encore, le loup, dans la forêt de Marly ou celle de Saint-Germain où, n'ayant pas de meute, il se fait prêter celles du duc du Maine ou du Comte de Toulouse. On peut lire dans la préface du Journal que si le roi s'adonne parfois à la chasse au loup, Monseigneur le dauphin en est fou et s'y livre presque chaque jour ! au point qu'à la fin du règne, on ne trouvait plus ces animaux que dans la forêt de Sénart.


Evocation des chasses royales dans la forêt de Saint Germain
(gravure de Gustave Doré, 1861)

Autres sources:
Grand dictionnaire Larousse du XIXe siècle, Paris 1875.
Labédollières E., Saint Germain en Laye, sa Forêt et ses environs, Paris, 1861.


Société d'Histoire du Vésinet, 2008 - www.histoire-vesinet.org