Archives départementales des Yvelines. Brouillon d'article de Georges Dessoudeix (sans date).

La « débâcle » de la municipalité du Vésinet (1940)

Sans date, dactylographié sous le cachet du service politique de Paris-Soir et signé, le brouillon d'article, raturé et annoté, est conservé aux Archives départementales des Yvelines. Il est le témoignage de Georges Dessoudeix, alors conseiller municipal du Vésinet, sur le moment où, en juin 1940, tant de Français se retrouvèrent sur les routes, fuyant devant la progression rapide des troupes allemandes, triste épisode de notre histoire connu sous le nom de débâcle et d'exode.

    « Peut-être est-il bien tard pour parler encor d'elles » [1] pourrait-on écrire à propos des municipalités trop nombreuses de la région parisienne qui, à l’approche de l'avance allemande n'ont eu d'autre souci que de s'enfuir le plus loin possible, sans se soucier le moins du monde de ce qui pourrait advenir derrière elles de leurs administrés.
    Pourtant, il serait regrettable de mettre le mot fin à ce triste chapitre de la lâcheté humaine sans avoir consacré à monsieur le maire du Vésinet les lignes que mérite son exploit d'un caractère particulier car il dépasse de loin tout ce qu'ont pu réaliser dans leur pusillanimité ses collègues les plus fuyards.
    Le Vésinet,cette charmante localité de la banlieue ouest, véritable oasis de feuillages et d'eaux, possède en son maire un administrateur d'envergure qui a toujours su voir grand et qui n'a jamais reculé devant aucune dépense, quand c'est bien entendu les habitants qui acquittent la note à payer. Aussi, le 12 juin lorsqu'il résolut prudemment de se mettre à l’abri et d'abandonner la commune à son sort bien que son double poste de maire et de chef de la défense passive eut dû lui faire un double devoir de rester, décida-t-il de faire grandement les choses, et une fois de plus aux frais des contribuables du Vésinet.

    Il se garda d'ailleurs de réunir le conseil municipal et de le consulter, et il prévint seulement quelques amis sûrs. Sans aucun ordre des autorités supérieures et sans délibération du Conseil, et sous le fallacieux prétexte d'aller mettre les archives à l'abri, Monsieur le maire réquisitionna de sa propre autorité le personnel de la mairie et des services municipaux (à commencer par les pompiers) et il mobilisa tous les camions de la voirie, les ambulances et les autos et pompes du matériel d'incendie. Puis, lorsque le long convoi fut formé et qu'on eut fait le plein – et plus que le plein – d'essence, toujours aux frais des habitants, il fit vider de son contenu un magasin municipal de vivres de réserve qui avait été constitué pour le ravitaillement de la population. Les produits et les liquides qui y étaient entreposés furent ensuite répartis par ses soins entre voiture du cortège, à titre de provisions de route, et distribués à la cinquantaine de personnes, employés, amis et connaissances, qu'il avait avec lui.
    Les préparatifs terminés, M. Emile Thiébaut monta dans la plus belle auto avec pour chauffeur le capitaine des pompiers en uniforme et casqué, et fouette cocher ... tandis que les habitants qui n'avaient pas été conviés à ce repliement stratégique et alimentaire, allaient demeurer dans leur maisons sans l'assistance d'aucun service municipal, sans ravitaillement, sans eau, sans gaz et sans électricité.
    Mais les tragiques difficultés auxquelles ses administrés allaient avoir à faire face ne préoccupaient guère monsieur le Maire Thiébaut qui, arrivé et installé en grand équipage (c'est le cas de le dire) à Vitré, y coula avec son personnel et ses amis des jours paisibles en attendant que la situation s'améliore. Puis, quand il n'y eut plus aucun danger à redouter, que l'armistice fut signé, il se résigna à regret à reprendre la route pour rentrer au Vésinet. Et voici où les choses se corsent...
    A son retour dans sa mairie où, heureusement pour les habitants, il avait été avantageusement remplacé par le premier adjoint
    [2] assisté des deux seuls conseillers demeurés à leur poste, son premier soin fut de téléphoner à Versailles pour obtenir le départ de celui qu'il considérait un usurpateur car il tient beaucoup à son fauteuil de maire, et son deuxième souci fut de présenter... la facture !
    Commerçant retiré après fortune faite, propriétaire d'immeubles de rapport à Paris et de la somptueuse résidence où il habite au Vésinet, monsieur le maire entendait bien en effet ne pas en être de sa poche et se faire rembourser tous ses frais de voyage et de séjour à Vitré et de tous ceux qui l'y avaient accompagné. Et en tirant de sa poche le carnet où en comptable soigneux il avait minutieusement noté toutes les dépenses faites, il eut cet aveu : « Heureusement que j'avais sur moi l'argent du comité d'entr'aide pour les mobilisés, sans quoi je n'aurais pas eu assez...»
    Ainsi, non seulement le maire du Vésinet n'a songé qu'à se mettre confortablement à l'abri,mais encore s'est-il arrangé pour que ce soit aux frais de la commune... Et les habitants du Vésinet peuvent s'estimer heureux de s'en tirer relativement à bon compte. Imaginez en effet que les opérations militaires se soient prolongées et qu'à l'heure actuelle monsieur le maire, employés, amis et connaissances et compagnie se trouvent encore à Vitré, repliés, nourris et logés.... quelle addition au retour !!

     

    Emile Thiébaut (1871-1949)

    Maire du Vésinet de 1935 à 1941

    Edouard Clavery (1867-1949)

    Premier adjoint au Maire de 1934 à 1941

Une lettre est jointe à ce texte. Elle est datée du 20 mars 1941 et adressée au Préfet de Seine-et-Oise. A cette date, celui-ci a déjà décidé de nommer Georges Dessoudeix maire du Vésinet (voir ci-dessous) en vertu de la loi du 16 novembre 1940 « relative à la réorganisation des corps municipaux ». Son arrêté rendant effective cette nomination ne sera signé que le 30 mai 1941. Un autre, ministériel celui-là, paraîtra le 7 juillet 1941 pour entériner la désignation des adjoints sans procéder à des élections.

Georges Dessoudeix expose dans sa lettre les motifs qui l'ont amené à adresser ce texte (qu'il dit avoir renoncé à publier) à l'autorité préfectorale, plus de six mois après l'avoir rédigé.

    Monsieur le Préfet,

    Je me permets de vous adresser un article qu’il y a quelques mois j’avais eu l'intention de publier dans PARIS-SOIR sur l’attitude de M. Thiébaut au mois de juin. [3]

    Je ne l’ai pas fait parce qu’ayant été élu sur sa liste je ne voulais pas, publiquement, me dresser contre lui.

    Mais ce document pourra vous montrer que depuis longtemps, je m'étais entièrement séparé de la municipalité. Il vous éclairera aussi sur certains des faits qui étaient reprochés à M. Thiébaut sans compter les critiques auxquelles a pu se prêter sa gestion des affaires municipales.

    Je ne vous en avais pas parlé précédemment, par discrétion et parce qu'il m'aurait déplu d'essayer de faire pression, en quoi que ce soit, sur votre détermination.

    Mais à présent que vous avez bien voulu prendre cette décision en ma faveur, je ne suis plus retenu par le même scrupule. Je suis heureux de profiter de cette occasion pour vous remercier encore très sincèrement de l'estime et de la confiance que vous voulez bien me témoigner et que je m'efforcerai, soyez en assuré, de justifier.

    ...

En novembre 1940, G. Dessoudeix avait déjà formulé les mêmes critiques vis à vis du Maire du Pecq où il avait son nouveau domicile et où il souhaitait être nommé maire plutôt que de rester au Vésinet. La préfecture ne l'entendant pas ainsi, il dut se résoudre à briguer la mairie du Vésinet. Reçu le 6 mars 1941 à Versailles par le préfet, il lui confirma le lendemain par écrit qu'il acceptait cette fonction.

Tandis que le commissaire de police, dans un rapport au secrétaire général de la préfecture en date du 20 janvier 1941, jugeait Edouard Clavery, « un peu sénile », le nouveau maire pressenti, Dessoudeix notait sur la fiche de l'ancien diplomate : « Premier adjoint du Conseil sortant. Alors que le maire et les trois autres adjoints étaient partis, a assuré du 13 au 26 juin l'intérim de la mairie. Ne serait-ce qu'à ce titre (et il a rendu comme adjoint de grands services à la Commune) mérite entre tous d'être maintenu dans le nouveau conseil. » Il jugera finalement la présence, dans le nouveau Conseil, de ses deux prédécesseurs MM. Thiébaut et Aubrun « hautement désirable », une manière de répondre aux attentes de la préfecture que l'on peut résumer simplement par la formule « pas de vague ».
Cet épisode n'empêchera donc pas Emile Thiébaut de siéger, comme Edouard Clavery, au conseil municipal, jusqu'en 1945.
Le conseil ne lui tiendra pas rigueur de son escapade et l'élira comme maire, à nouveau, lorsqu'en août 1944, Georges Dessoudeix sera arrêté et détenu par les troupes alliées. Le préfet d'alors ne confirmera pas cette élection, préférant désigner pour la fonction, un représentant du Mouvement de Libération Nationale, membre du Comité de Libération du Vésinet : Max Boisville (1899-1980).
Mort au Vésinet le 12 juillet 1949, Emile Thiébaut se verra attribuée une longue portion de l'avenue qu'il habitait [4], par décision du Conseil municipal prise dès le 1er août suivant. Il est le dernier maire (en date) à avoir reçu un tel hommage.

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    Notes et sources :

    [1] Alexandrin adapté d'Alfred de Musset : Poésies nouvelles, A la Malibran (1837). Georges Dessoudeix fut poète avant de se consacrer au journalisme.

    [2] Edouard Clavery, ancien diplomate, qui témoigna être resté en poste, « sans nouvelles des élus en débâcle ». Seul à la mairie, s’appuyant sur la loi, il refusa de quitter la place et de livrer la mairie au commandant allemand. Il tint si énergiquement tête à son puissant adversaire que celui-ci le menaça de le mettre à la porte et lui montra même son revolver. M. Clavery tint bon au point que l’officier finit par céder, se contentant de traiter le courageux adjoint de « vieille viande » (altes Fleisch) qu'on peut aussi traduire par « vieille carne ». L'anecdote fut rapportée par Pierre Michet de la Baume dans Petites et grandes heures du Pecq et du Vésinet, Diguet-Deny, Paris, 1966.

    [3] Dessoudeix était alors Rédacteur en Chef et directeur des Services politiques de Paris-Soir.

    [4] La moitié de l'avenue Maurice-Berteaux à partir du n°55 et jusqu'au n°113 qui s'appelle désormais avenue Emile-Thiébaut. Cette voie de plus d'un kilomètre qui borde la voie ferrée n'a que des numéros impairs.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2021 •  www.histoire-vesinet.org