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L'esprit de clocher est de tous les temps et de
tous les lieux. Explicable, cet esprit. Il naît
d'un attachement logique à la ville ou au village
qui nous a vus naître, ou bien que nous avons
choisi. L'orgueil fait naître une préférence. Dès
le moment où nous y sommes, nous voici persuadés
que tout est mieux.
Or, cet esprit de clocher-là, nous autres les
habitants du Vésinet, nous le ressentons, je
crois, plus encore que les autres Français.
Nous avons conscience d'être des privilégiés. En
contradiction absolue avec le mouvement de
l'histoire, nous sommes prêts à mourir pour nos
privilèges. La nuit du 4 août, au Vésinet, devrait
s'entendre a contrario.
Faut-il pour cela nous juger sévèrement? Sûrement
pas. Car l'attachement à nos privilèges s'explique
par notre seul amour de la nature et d'un certain
art de vivre. Nous savons que nous sommes la seule
banlieue de la région parisienne à avoir été
conçue selon un plan d'urbanisme. L'harmonie a
présidé à la naissance du Vésinet, et elle a été
voulue. Elle nous a évité ces proliférations
anarchiques qui font un enfer de certaines autres
banlieues. Tout en faisant éclore des lieux
d'habitation, les fondateurs du Vésinet ont tenu à
sauvegarder la nature. En cela, ils se sont
montrés des précurseurs, écologistes avant la
lettre. Il y a cent ans déjà, ils ont compris que
préserver les arbres, c'était aider la vie des
hommes. Ils ont compris que sauvegarder les
espaces verts, c'était ménager un cadre favorable
à la vie.
De cela, nous sommes conscients. Infiniment. Si
quelqu'un s'avisait de remettre en cause nos
règles d'urbanisme, nous nous changerions en
révoltés. Une Jacquerie au Vésinet? Je la prédis,
si l'on touche à nos arbres!
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Alain Decaux
(1975) Extrait de la
préface au livre de Georges Poisson, La curieuse
histoire du Vésinet (1975)