Histoire de l'automobile, par Pierre Souvestre, 1907

Herbert Duncan et Léon Bollée, le British Motor Syndicate

Sir David Salomon, envisageait la question de trop haut pour se laisser guider par des intérêts financiers.
Il convenait que d'autres aient le souci d'échafauder, en s'abritant derrière les avantages résultant de sa précieuse influence, la charpente d'une organisation commerciale et industrielle.
M. H.-O. Duncan, [...], fut le principal, pour ne pas dire l'unique fournisseur du fameux British Motor Syndicate, dirigé par Lawson, qui tenta outre-Manche le trust des brevrets français et étrangers. Cela commença par une amusante aventure:
Le 4 décembre 1895, en France, sous le numéro 252.320, une invention était brevetée de la façon suivante:

    "Bollée. Cycle automobile. Système Léon Bollée. Le Mans."

Tandis qu'Amédée Bollée continuait à s'occuper de la fabrication des grosses voitures, Léon allait s'orienter plus particulièrement vers la construction des engins légers, les "cycles automobiles" rapidement intitulés "voiturettes", expression que peu après les tribunaux déclareraient être la propriété de Léon Bollée.

Duncan et Bollée

Léon Bollée (derrière) et H.-O. Duncan en voiturette

(photo de presse, Motor review, 1895)

Chèque et séquestration !

H.-O. Duncan décida Léon Bollée à venir passer quelques jours à Coventry avec une machine. Celle-ci fonctionna si bien que Lawson, enthousiasmé, offrit au constructeur français — qui accepta — d'acheter les brevets de sa voiturette pour l'Angleterre moyennant 20.000 livres sterling, soit 500.000 francs !
Un acompte de 4.000 livres sterling fut remis par chèque à Bollée, le solde devant être payé en traites à échéances fixes.
Mais, sur ces entrefaites, les usines de Coventry, où l'on devait construire les voiturettes Bollée, vinrent à brûler et, avec elles, la voiturette modèle ... et les plans.
Lawson demanda au constructeur une autre machine et celui-ci déclara ne pouvoir la livrer qu'au bout de deux mois. Mécontent, Lawson laissa protester la première traite, venue à échéance, et la situation menaçait de s'aggraver si Duncan n'était intervenu, car Bollée refusait de livrer sans argent et Lawson de payer, sans voiture.
Duncan obtint finalement qu'une machine lui serait remise par Léon Bollée en échange du versement de 16.000 livres sterling. En conséquence, il partit pour Le Mans, ayant en poche le chèque de Lawson.
Léon Bollée reçut Duncan d'une façon charmante, mais ne voulut le laisser partir qu'une fois le chèque encaissé par la Banque. Cela dura quatre jours, pendant lesquels le représentant du British Motor Syndicate fut bel et bien séquestré, avec, pour geôliers, l'aimable entourage de Léon Bollée.
L'avis d'encaissement parvint enfin ! Bollée rassuré, Duncan fut libre et emporta joyeusement la fameuse voiturette qui devait hautement exciter la curiosité des industriels et chauffeurs anglais, et aussi de la jeunesse, si l'on en croit ce joli mot d'un enfant voyant passer dans les rues de Coventry la voiturette célèbre:
— "Tiens, regarde donc, papa, ce tricycle à pétrole qui marche à l'envers !"


Société d'Histoire du Vésinet, 2009 - www.histoire-vesinet.org