D'après Charles Clément, in Artistes anciens et modernes, Didier (Paris) 1876

Eugène Laval (1818-1869)

Nous n'avons pas pour unique mission de faire connaître au public les travaux et la vie des peintres, des sculpteurs, des architectes qui ont pu achever leur œuvre. Lorsque la mort vient prématurément frapper un vaillant artiste, nous lui devons de jeter un coup d'œil d'ensemble sur sa carrière interrompue avant le terme naturel, et de rappeler, brièvement au moins, ses titres à la gratitude de ses contemporains, les motifs d'une réputation méritée qui ne faisait que grandir et à laquelle d'importants ouvrages en voie d'exécution devaient donner tout son éclat.

Eugène Laval, l'architecte habile que nous venons de perdre, est né à Villefranche, en 1818 [1]. Il vint à Paris en 1838, et les excellentes études qu'il fit sous la direction d'un maître éminent, M. Labrouste, développèrent de bonne heure sa riche organisation et le préparèrent aux travaux difficiles et complexes dans lesquels il s'est tant distingué. Il dessinait avec élégance et facilité; ses camarades d'atelier lui prédisaient, dès cette époque, un brillant avenir. Son goût le portait vers l'architecture civile.
Il s'est presque exclusivement consacré à ces constructions hospitalières qui seront un des honneurs de notre temps. Mais son sentiment délicat et élevé ne l'abandonnait jamais, et dans ces édifices où les questions d'utilité dominent tout, où l'architecture doit se plier aux exigences si compliquées, si multiples que lui impose la science moderne, il restait artiste. Sur ce terrain tout nouveau, dès ses premiers essais il s'est placé au premier rang.

Portrait d'Eugène Laval (1818-1869), architecte

Vers 1860 . Musée Carnavalet [2]

Ses études achevées, Laval voulut voir de près les chefs-d'œuvre de l'architecture et se pénétrer des principes de l'art qu'il avait embrassé ; il partit pour l'Italie, où il passa plusieurs années. Il y fit une ample récolte de dessins, de documents de toute sorte, et, avant de rentrer à Paris, il visita Arles, Nîmes, Orange, Viviers, dont il mesura et dessina les principaux monuments anciens et modernes.
Une fois à Paris, il prit part aux Expositions annuelles. Ses dessins et ses projets pleins de conscience et de goût fixèrent aussitôt l'attention sur lui. Il entreprit de nouveaux voyages en France pour relever un certain nombre d'édifices, et en 1849, lors de l'organisation du corps des architectes diocésains, le gouvernement, en quête d'artistes capables de restaurer nos belles cathédrales, jeta les yeux sur Laval et lui confia les édifices diocésains de Nîmes et de Viviers. Il conserva ces fonctions jusqu'à sa mort.
Les études archéologiques prirent à ce moment un grand essor, et Laval fut chargé de la restauration de nombreux monuments historiques. C'est à lui que l'on doit les beaux travaux de l'église de Sylvacanes (Aveyron), de Sainte-Marthe de Tarascon, de Saint-Théodoric à Uzès, du château de Beaucaire. Il répara avec le plus grand succès dans le département de la Haute-Garonne les églises de Comminges, de Saint-Gaudens et de Saint-Just de Valcabrère ; il enrichit les précieux cartons de la Commission des monuments historiques d'un grand nombre de beaux dessins relatifs à ces travaux. En 1852, lorsqu'on eut l'heureuse idée d'élever des maisons pour les convalescents, ce fut Laval qu'on chargea de construire les asiles de Vincennes et du Vésinet. Ces monuments sont des innovations qui appartiennent en propre à l'habile et ingénieux architecte. Sur ce terrain il n'avait pas de modèles; il dut lui-même imaginer son programme, et ces deux importants édifices sont de véritables créations. C'est là qu'il appliqua pour la première fois ces combinaisons si utiles à la santé, au bien-être et aussi à l'agrément des malades. Sous le rapport, non-seulement de l'élégance et de la bonne disposition des constructions, mais aussi au point de vue capital dans des établissements de ce genre, de l'aménagement intérieur et des conditions hygiéniques, — ventilation, chauffage, bains, dortoirs, promenoirs, buanderies, cuisines, etc., — les asiles de Vincennes et du Vésinet sont irréprochables; ils valurent à Laval le suffrage de ses confrères et du public, et le placèrent parmi les maîtres de son art.

Diverses administrations et des particuliers le chargèrent d'autres travaux dont il s'acquitta avec succès. Il construisit alors quelques maisons à Paris, le lycée impérial de Toulon, plusieurs églises paroissiales dans le département du Gard, le Palais de Justice de la ville d'Alès, l'élégant château de M. Dubochet, près de Clarens, sur le lac de Genève, et l'hôtel de la banque de Bilbao.

Asile National de Vincennes (St-Maurice)

Pavillon central, 1858.

En dernier lieu, la ville de Bordeaux fit appel au talent de Laval, et lui confia la construction de son hôpital général. Le programme de ce vaste travail était fait pour le tenter. Il y trouvait l'occasion d'appliquer sur une grande échelle les idées qui l'avaient dirigé dans les asiles de Vincennes et du Vésinet. Il exécuta avec le soin le plus scrupuleux tous les plans de cet édifice dont il voulait faire un modèle. L'an dernier, on commença à construire sous sa direction, et plusieurs corps de logis sont, sinon achevés, du moins fort avancés. Il est sans doute très-regrettable que Laval n'ait pu lui-même mener à fin cet important travail, mais les études sont si arrêtées et si complètes, que l'on pourra certainement achever l'hôpital de Bordeaux sans s'écarter en rien de ce beau projet.

J'ai signalé les principaux ouvrages de Laval. Je devrais m'arrêter là. Je sais bien que je n'ai pas le droit d'entretenir longuement le public de sentiments personnels qui s'adressent à l'homme plus encore qu'à l'artiste. Parler seulement de l'habileté et du savoir de Laval ne serait pourtant pas assez dire. Atteint depuis de longues années du mal qui l'a emporté [3], ses souffrances continuelles ne ralentissaient pas son travail obstiné, n'aigrissaient pas son humeur, ne lui ôtaient rien de sa cordialité délicate. Il était serviable, attentif, obligeant. Il m'est impossible de ne pas exprimer les regrets qu'éprouvent tous ceux qui l'ont connu et de terminer sans donner un souvenir à l'excellent ami que nous avons perdu.

Charles Clément, mars 1869 [4]

 

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    Notes et sources

    [1] LAVAL Eugène Jean-Baptiste Gabriel, né à Villefranche (Rhône), le 23 février 1818 de Léonard Laval, négociant, et de Marguerite Charles, son épouse. (Archives départementales du Rhône).

    [2] Portrait d'abord attribué à Eugène Delacroix (1798-1863) lui-même natif de la ville de St-Maurice où fut édifié l'Asile dit de Vincennes. Une inscription sur une étiquette collée au revers de la toile mentionnait les travaux de Laval à Paris (place et rue François Ier ; quartiers Saint-Georges et Lafayette). Son propriétaire, M. Sortais céda la toile au Musée Carnavalet en 1900. Sur le site du Musée, la date du décès de Laval en 1896 est erronée.

    [3] Il est mort de la tuberculose, le 21 février 1869 à Paris (9e).

    [4] cette notice nécrologique a été reprise dans plusieurs grands titres parisiens après le décès de l'architecte. Dans la plupart des cas, elle donnait 1819 comme année de naissance.


Société d'Histoire du Vésinet, 2018- www.histoire-vesinet.org