Article de Claire Denis, Vivre à Perros (journal municipal) décembre 1989 [1]

Maurice Denis et Pierre Guéguen
Une amitié d'artistes

Maurice Denis, né à Granville en 1870, découvrit Perros durant son adolescence, vint y passer son voyage de noces en 1893 (il avait loué une chambre, côte de Landerval), puis presque chaque été jusqu'à sa mort en 1943. Il y invita souvent peintres et écrivains parisiens auxquels se mêlaient deux artistes bretons : A. Clouart, peintre et poète, auteur notamment d'un Tro Breiz et d'un tableau votif dans la chapelle de Saint-Guirec, et Pierre Guéguen, né à Perros, poète, critique littéraire et critique d'art.
Après les journées de travail dans son atelier, M. Denis se délassait souvent en arpentant la plage de Trestrignel avec ses amis. En 1925, il note dans son journal: « Promenade du soir avec Clouart (...) et Guéguen qui m'intéresse de plus en plus. » En 1926, il mentionne une promenade aux Sept Îles ... « où je n'avais pas mis les pieds depuis 1909. Éclatante journée de lumière..
Un tableau rappelle cette journée : Pique-nique au phare des sept îles.

Maurice Denis - Pique-nique aux Sept-Îles (1926)

Pierre Guéguen y figure au premier plan, devant ses deux sœurs Mimi [2] et Monique. A gauche, allongés dans l'herbe, Dominique Denis, fils du peintre, et André Moulinier, fils de l'épouse du poète, qui fut si attentif aux vieux jours de sa mère. Un autre tableau de M. Denis, Portrait de lisbeth au soleil de plage montre, derrière la seconde épouse du peintre et ses deux plus jeunes enfants, Clouart, Denis (de dos) et Pierre Guéquen, reconnaissable à sa barbe noire et à la marinière qui était sa tenue favorite en vacances.
En parcourant le journal de M. Denis, on relève encore : « Clouart et Guéguen, poésie pure ! » et (1927) « Guéguen, à Plougrescant, nous lit dans les rochers de Castel Meur, son Racine [...], remarquable. »
Après la mort de M. Denis, les Guéguen restèrent proches amis de notre famille. Lors de ses passages au Vésinet. Pierre venait souvent nous rendre visite. C'était un « parleur » intarissable. Sa voix grave et lente, un peu théâtrale, transfigurait ses moindres paroles.

Portrait de Pierre Guéguen par Maurice Denis à Perros-Guirec en 1922 (détail)

Communiqué par Fabienne Stahl.

Tout naturellement, lors de la parution du journal de M. Denis, en 1957, Pierre Guéguen fut prié de participer à une suite de conférences donnée à Paris par des personnalités qui avaient bien connu le peintre. En préparant un article, mon père, Dominique Denis [3], a découvert un enregistrement réalisé sur un de ces mastodontes qu'étaient les premiers magnétophones, enregistrement jamais écouté depuis. Nous avons retrouvé avec émotion la voix profonde et lente, qui mettait chaque mot en valeur, la diction solennelle de Pierre Guéguen... De cet inédit, j'ai sélectionné un passage relatif à une hypothèse technique sur l'évolution de la peinture qui me paraît permettre de mieux saisir sa personnalité :

    « Nous n'avons jamais eu l'occasion de discuter (de ce point...) Maurice Denis et moi, sur notre arène favorite, la plage de Trestrignel, l'été... Je suis né un an après la fameuse définition, c'est dire qu'il y avait toujours un décalage dans nos opinions. Heureux les jeunes hommes qui peuvent ainsi prendre part à d'amicales joutes avec des aînés, princes de l'esprit ! Les plans fermes et purs d'une plage conviennent admirablement bien au dialogue, parallèlement à la mer monologante... Paul Valéry venait quelquefois nous rejoindre, lors de ses séjours à Perros. Maurice Denis était un causeur merveilleux, un causeur abondant et jovial... »

Maurice Denis, bien que sensible aux chants de Bretagne, n'en connaissait pas la langue. Pierre Guéguen fut pour lui un interprète attentif qui, comme Ernest Renan, comme tant d'autres, ne se voulait pas conservateur mais souhaitait concilier une tradition bretonne vivante avec sa profonde culture classique et une conception très moderne de l'Art.

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    Notes et sources :

    [1] Notes et illustration additionnelles de la SHV.

    [2] Marie (Mimi) Guéguen épouse d'André Moulinier. Dans une lettre de 1941, Pierre Guéguen demande à son ami Maurice Denis d'intervenir auprès de Jérôme Carcopino, alors secrétaire d'État à l'éducation, en faveur de sa soeur « Mademoiselle Marie Guéguen », institutrice à Pontault-Combault (Seine et Marne), pour la faire muter au Vésinet (Seine-et-Oise) « près de sa famille ». Madame Moulinier restera en poste à l'école communale des filles (Groupe Curie) jusque dans les années 1950.

    [3] Dominique Denis, architecte, est l'auteur de plusieurs réalisations au Vésinet : Le monument au morts de la Mairie (1948), une salle omnisports au Stade des Merlettes (1966), l'agrandissement de la Mairie (1971) avec Henri Menuel. D'autre part, MM. D. Denis et Mutricy sont les auteurs de l'édifice à trois niveaux (parking en sous-sol, marché en rez-de-chaussée et, au-dessus, patinoire couverte) détruit par le feu en 2002. Enfin, à l'église Sainte-Marguerite, Dominique Denis, intervenant soixante ans après son père, nettoya les peintures de ce dernier, débarrassa l'édifice de son mobilier «suranné et peu adapté aux célébrations liturgiques définies par le Concile Vatican 2 (1962-1965) ».


Société d'Histoire du Vésinet, 2016 - www.histoire-vesinet.org