Le Petit Parisien - n° 18763, 13 juillet 1928.

Miss Jenny Golder, vedette de music-hall, s'est suicidée

C'est sans doute dans une minute de découragement que l'artiste s'est donné la mort.
Miss Jenny GolderLa célèbre vedette de music-hall, miss Jenny Golder [1], qui se fit applaudir tant de fois sur les grandes scènes parisiennes, s'est suicidée à son domicile du 12, rue Desaix, en se tirant une balle de revolver dans la région du cœur. Cette triste nouvelle ne manquera pas d'affliger profondément le monde du théâtre, où la charmante artiste ne comptait que des amis.
D'ordinaire, d'une gaieté exubérante, Jenny depuis un certain temps, paraissait un peu préoccupée et elle allait souvent se reposer dans la petite villa qu'elle possédait au Vésinet. Tous ces jours-ci, quelque peu surmenée par de nombreuses répétitions, car elle devait partir en tournée très prochainement, l'artiste y passa plusieurs jours en compagnie d'une de ses amies, Mrs Bruce, et de sa secrétaire.
Mercredi matin
[11 juillet] de bonne heure, elle revint Paris. Toute la journée elle s'occupa de ses prochaines représentations et passa l'après-midi avec l'auteur de ses chansons qui, bouleversé du drame, ne peut lui attribuer aucune cause. Elle lui avait même demandé deux ou trois nouveautés « pour la saison prochaine » et semblait fort gaie.
Elle rentra chez elle vers 19 heures. Que se passa-t-il alors ? Quelle idée traversa l'esprit de l'artiste. Nul ne le saura, mais Mrs Bruce se tenait dans le petit salon lorsque tout à coup une détonation retentit. Affolée, elle se précipita dans la chambre de son amie. Jenny, couchée, paraissait reposer. Elle avait la poitrine ensanglantée et tenait dans sa main crispée l'arme dont elle venait de faire usage, un petit Browning de sac à main.
En hâte, on appela un docteur. Mais tous soins étaient inutiles : l'artiste, frappée au cœur, avait cessé de vivre.

M. Bonnet, commissaire du quartier, procéda peu après aux constatations avec le médecin de l'état civil et délivra le permis d'inhumer [2]. Toute la nuit ses intimes veillèrent à son chevet. Son mari et sa sœur ont été prévenus par télégraphe.
Ce n'est qu'hier matin que la triste nouvelle s'ébruita. Stupéfiés, ne voulant pas croire à une fin aussi tragique, d'innombrables amis et camarades de l'artiste se rendirent rue Desaix. [3]

Mrs Bruce [4], qui connaissait Jenny depuis de longues années et la suivait dans tous ses déplacements, ne s'explique pas encore à quels mobiles son amie a pu obéir. Peut-être la douloureuse opération qu'elle avait dû subir à la jambe [5], après une série de représentations vraiment triomphales sur une grande scène parisienne, l'avait-elle frappée au point de lui faire douter de son avenir artistique.
Dans l'entourage de l'artiste, on pense qu'elle s'est donné la mort au cours d'une crise de neurasthénie provoquée par le surmenage d'une vie de travail intense. Puis il y avait eu chez elle ce doute en son avenir, et pour Jenny, éprise de son art, c'était la plus cruelle des déceptions. Jenny avait aimé, certes, mais que l'on ne cherche point des raisons d'ordre sentimental au geste douloureux de celle qui était demeurée enthousiaste et spontanée et qui vit peut-être dans une seconde de découragement tout son avenir, cet avenir si brillant pour elle, s'écrouler brusquement.

***

    Notes et sources

    [1] L'origine de Jenny Golder conserve quelques mystères. Selon son unique biographie publiée (The Life of Jenny Golder, par Alan Black - RPM. Reprographics Ltd. Londres, 2000), Rosie Sloman naquit le 14 janvier 1894 à Kyneton, dans l'Etat de Victoria en Australie. Son père, John Sloman (né Solomon), aurait exercé divers métiers : directeur de théâtre, commissaire-priseur, magicien, propriétaire d'un petit commerce de tabac et bookmaker. Sa mère, dont on ne sait à peu près rien, serait née Annie Louise Golder. La famille débarque en Angleterre à la fin du XIXe siècle pour s'installer d'abord à Brighton puis à Londres en 1899. Cette biographie confirme la « légende » de l'origine australienne contestée dès 1928 par une notice publiée dans la revue Comædia qui fit longtemps autorité. Selon cette notice, Jenny était « fille d'honorables petits commerçants de Londres où elle était née » en 1896.

    [2] Le parquet réclama une autopsie en raison de la demande de la famille d'embaumer le corps. Celui-ci fut transporté à l'institut médico-légal où le Dr Paul, célèbre légiste, officia. Le permis d'inhumer définitif ne fut délivré que le 13 juillet. Le Gaulois, 13 juillet 1928. Journal des débats politiques et littéraires14 juillet 1928.

    [3] Un office religieux fut célébré à l'église anglicane de la rue Auguste-Vacquerie (St-George), en présence d'amis et de camarades, parmi lesquels on remarquait Mmes Pearl White, Mistinguett, Rahna, Blanche Montel, MM. Maurice Chevalier, Harry Pilcer, Spadaro, Dufrenne et Varna... Puis le cercueil fut déposé dans le caveau de l'église (Le Petit Parisien, juillet 1928) en attendant l'inhumation définitive au cimetière des Fauvelles à Courbevoie. La tombe a fait l'objet en 1982 d'une reprise de concession. (Mairie de Courbevoie).

    [4] Miss Bruce-Norton s'était vue léguer par son amie « un chien, une automobile et un diamant de grande valeur ». Elle ne put entrer en possession du diamant qu'après plusieurs procès, des deux côtés de la Manche en raison d'une plainte de la famille pour « détournement de succession ». Le Petit Parisien - 13 juin 1930.

    [5] Une opération du genou en janvier 1928, consécutive à un accident. Le Temps, 13 juillet 1928.


Société d'Histoire du Vésinet, 2014 - www.histoire-vesinet.org