Les habitants célèbres du Vésinet > Gens de théâtre et de cinéma >

Jim Gérald : du Far-West au cinéma, il a roulé sa bosse...

S'il est né à Paris dans le premier arrondissement, le 4 juillet 1889, Gérald Ernest Cuénod est de nationalité Suisse. Son père, Ernest, administrateur de sociétés, fondateur et président de l'Automobile Club Suisse, est originaire de Corsier-sur-Vevey, commune du canton de Vaud entre Lausanne et Montreux. [1]
Gérald Cuénod passe toute son enfance à Paris. Puis, à 16 ans, il émigre vers l'Amérique par gout de l'aventure.

    Sur un vieux bateau qui transportait jadis le bétail en Australie, je pris place dans l'entrepont parmi les émigrants. Du Havre à Montréal, le cargo mit vingt-sept jours. Sitôt à Montréal je me débrouillai pour partir vers l'Ouest dans un wagon de marchandises. Il y avait là-dedans des Indiens, des nègres et des blancs.., une petite tour de Babel. Nous vécumes dans ce wagon pendant huit jours et sept nuits, faisant la cuisine, chantant, dormant et sympathisant assez bien. [2]

Au Canada, dans la région du Klondike, il devient cow-boy puis il rejoint un des nombreux cirques qui proposent de prétendues reconstitutions de la conquête de l'Ouest, le West Show du Dawson Circus. Il s'y produit comme écuyer dans un numéro de cheval sauvage avec l'objectif, avouera-t-il, de retraverser le Canada pour rejoindre la côte atlantique et amorcer ainsi un retour vers la France. C'est chose faite en 1907. Son expérience du cirque lui ouvre alors les portes du Caf'conc' et du music-hall sous le masque enfariné de l'auguste.

    J'ai débuté au cirque comme écuyer en Amérique, puis j'ai été l'Auguste de Pierantoni. On m'appelait Little Gérald, j'étais grand comme un jour sans pain. Je puis me vanter d'avoir été le plus long des comiques. [3]

En 1911, il fait ses premiers pas au cinéma dans un petit film intitulé Belle-maman a mangé du cheval, sous le nom de scène qu'il ne changera plus : Jim Gérald. Il raconte y avoir eu l'avantage de toucher ce qu'on appelait «un cachet d'eau» : le comédien qui tombait à l'eau pour les besoins du scénario se voyait gratifier d'une prime.

A la déclaration de guerre, en 1914, étant de nationalité helvétique, il s'engage à Bordeaux dans la Légion étrangère pour pouvoir rejoindre l'armée française. Caporal au 1er Régiment Etranger, il bénéficie en 1915 d'un décret de naturalisation. Blessé en octobre 1915, il est affecté après sa convalescence, à l'artillerie comme brigadier-chef. Il est démobilisé le 16 octobre 1919. [4]
Après la guerre, il retourne en Suisse retrouver sa famille et se tourner vers le Théâtre. Il dirige un temps les Folies-Bergère de Genève où il accueille son compatriote Michel Simon et s'essaie au métier de comédien avec la troupe des Pitoëff. C'est avec elle qu'il revient à Paris, notamment à la Comédie des Champs-Elysées, où il joue dans Liliom de Ferenc Molnar, dans une mise en scène de Georges Pitoëff ou dans le Siegfried de Giraudoux, dirigé par Louis Jouvet.

    Je jouais dans Siegfried, de Giraudoux, le rôle d'un général allemand qui apparaissait en grande tenue. J'entrais en scène au second acte pour raconter des tas d'histoires à Jouvet, et ma première réplique était : « Pas la guerre, Fongeloy, la révolution ! » Ce jour-là, j'avais quitté le studio un peu tard. En montant à la Comédie des Champs Elysées, panne d'ascenseur. Enfin, au moment où j'étais prêt à commencer mon maquillage, il me fallut entrer en scène. Que faire ? J'avais mon grand manteau d'auto, des lunettes et des gants. Tant pis pour l'uniforme. Je me précipite et j'entre, essoufflé, à la stupéfaction de Jouvet à qui je m'adresse en ces termes :

    — Pas la guerre, Fongeloy, la révolution ! Si j'ai un conseil à vous donner, faites comme moi, mettez-vous en civil, ma voiture nous attend en bas.

    Jouvet ne put réprimer son hilarité sur le moment, mais il se rattrapa après. Quant à Giraudoux, il m'en voulut beaucoup du sacrilège que j'avais fait subir à son texte.

De 1923 datent ses vrais débuts au cinéma. Il se lie d'amitié avec un jeune cinéaste prometteur, René Clair, dont il deviendra l'un des acteurs favoris.

    Mon premier rôle au cinéma fut assez modeste. J'avais été engagé pour la Légende de sœur Béatrice, de Baroncelli. Il fallait un costaud pour une bagarre : on me proposa d'être ce costaud. Je demandai deux cents francs pour la journée. Baroncelli faillit en faire une maladie. Il finit par accepter. Je me présente au jour fixé, m'habille avec une superbe cotte de mailles, véritable camisole de force, et j'attends. Personne ne vient me chercher. A midi, rien. Le travail cesse et Baroncelli dit à Chomette, son assistant :

    — Eh bien ! mon type à deux cents balles, je lui ai fait mouiller la chemise. Et cet après-midi, ça bardera encore plus.

    Mais, répondit Chomette, vous vous êtes trompé. Il est là-bas et se morfond !

    Erreur sur la personne ! L'après-midi, Baroncelli se rattrapa et me fit distribuer et recevoir des coups jusqu'à 9 heures du soir.

Au temps du muet, René Clair lui donne des rôles intéressants : c'est ainsi que dans Un chapeau de paille d'Italie (1927), il est le mari de Olga Tschechowa, et que, dans Les deux timides (1928), il poursuit de sa hargne le timide avocat, Pierre Batcheff, qui l'a fait condamner pour brutalité.

    C'est avec René Clair et Albert Préjean que je commençai réellement ma carrière au cinéma. Nous tournions le Voyage imaginaire. Il y avait avec nous le danseur suédois Jean Börlin, qui était l'un des commanditaires. Il espérait beaucoup de cet essai, mais il était si mauvais comme acteur que René Clair, profitant de ce qu'il s'agissait d'une féerie, décida de le remplacer par un chien. Jean Börlin apparaissait ainsi un peu au début et juste à la fin pour épouser la jeune première ; il faut reconnaître que le chien avait beaucoup plus de dispositions que lui.

    Après, j'ai tourné, encore avec René Clair, la Proie du Vent et le Chapeau de Paille d'Italie. Dans ce dernier film, jouait également Yvonneck, le chanteur breton, grand, bedonnant et d'aspect si débonnaire. Pour lui faire une plaisanterie, nous lui dîmes un jour, Préjean et moi, que René Clair se préparait à faire une œuvre où figurerait un gangster, sombre brute.

    — Oh ! comme j'aimerais jouer ce rôle, déclara le brave garçon. Que faire pour l'obtenir ?

    — Tu n'as qu'à ne pas parler à René Clair avec cet air gentil et aimable que tu as adopté. Habitue-toi à adopter une attitude méchante, lorsque tu le rencontres.

    Nous n'y pensions plus, lorsque trois ou quatre jours après, René Clair nous appelle, Préjean et moi :

    — Il fait chaud, allons prendre quelque chose. — Oui, on a soif. — Vous, Jim Gérald, qui êtes grand et fort, vous devez souffrir de cette chaleur plus que les autres. Ainsi, je ne sais pas si c'est cela, mais depuis quelques jours Yvonneck, taillé un peu sur votre format, dès que je le rencontre, prend un air de chien enragé et pousse des rugissements, en rentrant sa moustache dans la bouche.

    Hélas ! un an plus tard, le pauvre Yvonneck se tuait ! [5]

Jim Gérald en 1930 dans Le Chanteur Inconnu.

Un film de Victor Tourjanski (films Osso) sorti en 1931.

Gérald participe à la première production entièrement parlante du cinéma français, La nuit est à nous (1929) de Roger Lion (pour la version française), où il incarne l'époux de Marie Bell.

    J'ai tourné le premier film parlant La nuit est à nous avec Murat et Marie Bell. Je dus faire un bout d'essai en Allemagne. « Récitez quelque chose, n'importe quoi, une fable ou une tirade » me dit Carl Frolich. Mon avenir dépendait de cet examen. Mais j'avais conscience du ridicule de monologuer en tenue de ville devant un micro. J'eus une idée : étant très bon cuisinier, je débitai avec flamme la recette de la « bourride », sorte de bouillabaisse à l'aïoli. Je vous assure que je vivais mon rôle derrière les fourneaux, l'œil ardent, l'air naturel. Ça marcha à merveille. Je compris là que, pour réussir au cinéma, il faut être comme dans la vie. Moralité : étant paresseux de nature, je n'avais rien préparé et le vice fut récompensé.

Deux ans plus tard, il personnifie le bon curé Pellegrin de Mon curé chez les riches (1932) et, changeant de registre, il campe le commissaire Lohmann qui traque Rudolf Klein-Rogge dans la version française du Testament du docteur Mabuse (1932) de Fritz Lang.

Jim Gérald s'est empâté. Le temps est loin du grand Auguste filiforme ! Gérald chausse des lunettes à la Marcel Achard et promènera sa silhouette bedonnante plus qu'athlétique dans des dizaines de films durant un demi siècle. Le voilà chef de bande dans le très médiocre Roi des Champs-Elysées (1934) de Max Nosseck, où il donne la réplique à un Buster Keaton en fin de course. Dans Toto (1933) de Jacques Tourneur, il campe le banquier Bruno qui louche vers la femme d'Albert Préjean, un voleur de chiens rencontré en prison. Il joue aussi les gangsters d'opérette dans Titin des Martigues (1937) de René Pujol, où il est Loulou les Gros Bras ou les pédagogues dans Une vie de chien (1941) de Maurice Cammage. On ne sait pas comment il s'est débrouillé pour devenir le producteur d'Ava Gardner dans La comtesse aux pieds nus (1954) de Joseph L. Mankiewicz. [6]

Jim Gérald dans le rôle du commissaire Lohmann (1933)

dans le film de Fritz Lang Le Testament du docteur Mabuse (version française).

Gérald Cuénod se marie à Genève le 30 octobre 1939. Il épouse Clara Albertine Kienitz.
Peu à peu ses rôles s'amenuisent pour se limiter souvent à des « pannes » ou des silhouettes. C'est que, loin de se hausser au génie comique d'un André Alerme, il dessine, à force de mimiques pleurnichardes, des personnages un peu caricaturaux. D'autant qu'il fréquente avec assiduité le cinéma des tâcherons les plus routiniers du cinéma de cette époque. Il figure donc un pirate dans L'or du Cristobal (1940) de Jean Stelli, avec Albert Préjean ou un commissaire, à qui conviennent mieux ses rondeurs, dans La troisième dalle (1941), de Michel Dulud.
Il revêt plusieurs fois l'uniforme, comme dans Boule de Suif (1945), de Christian-Jaque, où il est un concupiscent officier prussien ou dans Aux yeux du souvenir (1948), avec Michèle Morgan. Il faut bientôt des yeux exercés pour le repérer dans le rôle du rebouteux du Guérisseur (1953) de Yves Ciampi, du garde de Marie-Antoinette, Reine de France (1955) de Jean Delannoy, d'un cocher dans Si Paris nous était conté (1955) de Sacha Guitry ou de ce sonneur de cloches du Chômeur de Clochemerle (1957) de Jean Boyer, avec Fernandel. [7]
Sans essoufflement malgré son embonpoint, il paraissait encore dans Moulin-Rouge (J. Huston, 1953) et Éléna et les hommes (J. Renoir, 1956). Il ne cessera de tourner, jusqu'à la fin. Quelques jours avant sa mort, il était à Hambourg pour le tournage d'un film d'Yves Ciampi Le vent se lève, au côté de Mylène Demongeot et Curt Jurgens.
Jim Gérald est mort à Paris (8e) le 2 juillet 1958, à 69 ans.
Il a laissé deux livres de souvenirs, En roulant ma bosse (Genève, 1940) et Du Far-West au cinéma (Paris, 1945).

****

    Notes et Sources:

    [1] Pascal Gavillet, Dictionnaire historique de la Suisse, 2007.

    [2] Un enfant terrible de Suzy Mathis pour Midinette, 25 mars 1938.

    [3] Interview par Jacques Mortane pour L'Image, janvier 1933.

    [4] Enfant né en France de parents étrangers, il a choisi de se fixer définitivement en France (décret n°156-755 du 4 juin 1915) et a fait l'objet d'une naturalisation.

    [5] Yvonneck, le barde breton (de son vrai nom Arthur Jullions) s'est suicidé en se défenestrant du cinquieme étage de son domicile parisien en avril 1929. Il avait 55 ans. Le Petit Parisien, 17 avril 1929.

    [6] Roger Boussinot, L'Encyclopédie du Cinéma (Tome I), 1984.

    [7] Jean-Pascal Lhardy, Biographie de Jim Gérald, Cinéartiste.com.


Société d'Histoire du Vésinet, 2020 • www.histoire-vesinet.org