M. Alphonse Ledru Le jugement de ses adversaires politiques
L'Administration de M. A. Ledru a été, avons-nous dit, une administration néfaste pour le Vésinet. Néfaste au point de vue politique, néfaste au point de vue administratif. Au point de vue politique, l'ancien radical, le franc-maçon, par dépit, pour se venger des républicains qui ne l'ont pas remercié de les avoir lâchés en le nommant député lors des élections de 1885, a travaillé avec ardeur à faire passer l'administration municipale aux mains des réactionnaires cléricaux: lui qui était autrefois le seul intransigeant du Conseil, lui qui n'avait pas assez d'expressions mordantes pour qualifier ses adversaires politiques d'alors dont il devait plus tard quémander les suffrages, s'est empressé de brûler ce qu'il avait adoré et d'adorer ce qu'il avait brûlé. On l'a vu livrer à l'ancien président du Conseil de fabrique la vice-présidence du Bureau de Bienfaisance, devenir le protégé de M. Proust et du baron Hely, s'allier avec les réactionnaires cléricaux les plus avérés pour composer des délégatures sénatoriales absolument hostiles aux candidats franchement républicains, contribuer à doter le département de Seine-et-Oise de sénateurs réactionnaires.
Il a eu la triste gloire d'être le premier Maire réactionnaire du Vésinet. Au point de vue administratif, il a désorganisé tous les services communaux que les municipalités précédentes s'étaient toutes efforcées de constituer et d'établir sur des bases sérieuses avec le concours de toutes les bonnes volontés républicaines.
Sous son administration, le régime du bon plaisir et de l'omnipotence du Maire est immédiatement substitué à la gestion régulière de l'assemblée communale étudiant, discutant et donnant son avis sur toutes les questions intéressant le Vésinet. La commune c'est lui. Il ne saurait souffrir de collaborateurs, ni de contrôle. Pour la forme il fait procéder à la nomination de commissions qu'il ne convoque jamais, qui ne fonctionnent pas, et lorsqu'on lui demande la nomination d'une commission des fêtes, il revendique pour lui tout seul, avocat à Versailles, le droit d'organiser des fêtes au Vésinet.
Naturellement, il n'organise rien. Il remplace les employés, dispose des crédits réservés, engage des dépenses, entame des procès sans que le Conseil municipal soit informé. Il réduit autant que faire se peut toutes discussions et tout contrôle. Le Conseil n'est convoqué que lorsqu'il n'y a pas moyen de faire autrement, et ses séances se bornent aux quatre sessions annuelles obligatoires qui durent quelques minutes à peine.
Pour se créer des, ressources, il augmente les centimes additionnels qui jamais, depuis l'érection du Vésinet en commune n'avaient dépassé 46 centimes. Il faut bien que les contribuables paient la gloire de l'avoir comme Maire. Par sa négligence, le bureau de bienfaisance ne recueille rien dans la succession Mahot. La Caisse des Ecoles ne fonctionne plus régulièrement; le Comité des Dames est désorganisé; les promenades scolaires supprimées. La commune est engagée dans de mauvais procès; ce tempérament bilieux et rageur prend à tort et à travers des arrêtés de police dont le moindre inconvénient est d'être incompréhensibles et inapplicables et qui, conséquemment, ne sont pas respectés. Un jour, c'est sur les chiens qu'il passe sa mauvaise humeur en les soumettant à perpétuité à la muselière ou à la laisse obligatoire. Bien entendu, nous voyons tous les toutous récalcitrants circuler librement sans muselière et sans laisse, au mépris de l'arrêté dit "permanent". Dernièrement, se sont les habitants à qui il veut imposer, de par son autorité, le balayage des neiges dans les rues bordant leurs propriétés, oubliant que la commune est l'entrepreneur de tous, obligé de faire faire à tous les travaux de voirie moyennant la perception qu'elle fait à son profit du centime par mètre.
Cet avocat doit savoir qu'il ne peut statuer pour une catégorie d'habitants, que son arrêté doit s'appliquer à tous indistinctement. Nous aurions été curieux de constater, cet hiver, comment cet arrêté aurait été observé par la Compagnie Sauvalle et les propriétaires de terrains ou de maisons qui n'habitent pas le Vésinet pendant la mauvaise saison. Il rêvait de mettre la fête communale sur les pelouses, contrairement aux intérêts du commerce local et en violation formelle du cahier des charges qui interdit tout commerce en cet endroit.
Les propriétaires de terrains bordant les pelouses auraient attaqué la commune. La belle affaire! Cela aurait fait de l'ouvrage pour les avocats de Versailles ; ne faut-il pas que tout le monde vive!
Par animosité personnelle contre la Société de Gymnastique, M. A. Ledru a voulu chasser les jeunes gens du Vésinet de la salle construite spécialement pour faciliter l'éducation physique de notre jeune génération. S'il était une Société qui dût être encouragée et protégée, c'était certes la Société qui a pour but unique de former des hommes solides et des soldats adroits et exercés :
Nous espérons qu'un des premiers actes du nouveau Maire, sera de permettre à ces jeunes gens de continuer leur éducation en mettant de nouveau à leur disposition la salle de travail construite, nous le répétons, pour servir à des études, à des exercices et à des travaux sérieux, non pour servir uniquement à danser l'Ostendaise ou la Boulangère et chanter la Petite Nounou. La commune n'est pas entrepreneur de concerts et de bals.
Nous concevons sans peine, que la majorité qui l'a subi pendant près de cinq ans, par nécessité, n'ait pas mis d'enthousiasme à voter, à M. Ledru, des remerciements, et que son successeur ait tenté de le soustraire à cette gaffe finale, en levant au galop la dernière séance du Conseil municipal.
A propos, la motion de M. Lachèvre! C'était adroit. Le vote malheureusement a été émis, mais par un reste de pudeur on la cache comme on cache les mauvaises actions et l'officiel de la Mairie qui criait hier encore : Vive Ledru ! comme il criera demain: Vive Drevet ! a bien pris soin en rendant compte de la séance du Conseil municipal de ne pas souffler mot du fameux vote de remerciements. Nous avons été plus courageux et n'avons pas eu cette pudeur c'est à la collection de L'Avenir que devra recourir M. Ledru, pour trouver trace du satisfecit de ceux qui composèrent sa majorité.
Maintenant qu'il est mort [**], bien mort pour le Vésinet, qu'il repose en paix et nous aussi!
Espérons que le nouveau Maire, qui n'a pas encore les mêmes sentiments de haine contre les électeurs républicains de sa commune administrera pacifiquement même pour ses adversaires, et qu'il s'efforcera de réparer au plus tôt les fautes commises par son prédécesseur, qu'il transigera les procès, rapportera ses malencontreux arrêtés de police et administrera avec sa raison et non avec l'agitation de ses nerfs.
[*] Cet article, publié deux mois après qu'Alphonse Ledru ait démissionné de ses fonctions de Maire, ait également dit renoncer à d'autres fonctions électives pour se consacrer à son métier d'avocat, révèle combien profonde était l'hostilité des opposants à ce maire.
[**] mort "politique" s'entend; A. Ledru est mort accidentellement le le 20 septembre 1907,
des suites d'une chute
de cheval, lors de manœuvres militaires.
Société d'Histoire du Vésinet,
2010 - www.histoire-vesinet.org