Le Ménestrel : journal de musique - 61e année, n° 2, janvier 1895.

Le décès de Louis Martinet

Cette semaine est mort au Vésinet, à l'âge de 82 ans, un brave et excellent homme qui avait bien tout le tempérament d'un artiste, et qui en avait donné plus d'une preuve. Je veux parler de Louis Martinet, cet ancien élève de Gros, devenu plus tard inspecteur des Beaux-Arts, peintre non sans talent et dessinateur très habile, qui, plus tard encore ouvrit dans le local où se trouvent aujourd'hui les Nouveautés, une exposition de peinture et de musique à laquelle il substitua ensuite un théâtre, le gentil théâtre des Fantaisies-Parisiennes, qui rendit de véritables services. C'est là qu'il remonta d'anciens ouvrages lyriques: le Calife de Badgad, le Nouveau Seigneur et la Fête du village voisin, de Boieldieu, les Rosières et le Muletier, d'Herold, l'Arbre enchanté, de Gluck, le Sorcier, de Philidor, le Maître de chapelle, de Paër; c'est là qu'il monta des ouvrages inédits de Duprato, de MM. Deffès, Jonas, Delandres et bien d'autres; c'est là qu'on vit commencer nombre d'artistes, comme M. Engel, le "ténor terre-neuve", M. Barnolt, de l'Opéra-Comique, Mlle Arnaud, qu'on vit plus tard à l'Opéra.

A la retraite de Pasdeloup, Martinet s'empara du Théâtre-Lyrique : mais la Commune lui brûla son théâtre, qu'il dut transporter dans la salle de l'Athénée, aujourd'hui disparue. Il voulut faire grand dans cette salle mignonne, monta les Brigands (i Masnadieri) de Verdi, une Folie à Rome, de Ricci, mais il avait trop présumé de ses forces, et dut passer la main. Malgré tout, depuis vingt ans il n'avait cessé de rêver la résurrection de son théâtre, et on se rappelle qu'il y a quelques semaines il avait donné de la publicité à un projet en ce sens. Comme j'avais été mêlé très étroitement naguère à son affaire des Fantaisies-Parisiennes, il m'écrivait, il y a peu de temps encore, pour me prier de l'aller voir afin de lui fournir quelques dates qu'il avait oubliées et dont il avait besoin pour la rédaction de ses Mémoires, qu'il avait entrepris d'écrire. Il était toujours vert, toujours droit, toujours souriant, en dépit de son âge, et je ne me doutais pas, hélas ! que je le voyais pour la dernière fois.
Tous ceux qui ont connu Martinet le regretteront. C'était un aimable homme, un galant homme et un véritable artiste.

    Arthur Pougin


Société d'Histoire du Vésinet, 2011- www.histoire-vesinet.org