D'après le Bulletin de l'Association des dames françaises (Paris) février 1911 et autres sources (voir notes)

La mystérieuse Mme Le Breton

    Première partie : La légende

Nous empruntons à un article de l'Association des dames françaises paru en février 1911 dans le bulletin de cette association ce qui nous semble traduire le mieux le point de départ de ce que nous appellerons la légende de Madame Lebreton.

    Une « brave »

    Le 8 janvier dernier [1911] est décédée, à l'Asile national du Vésinet, une personnalité bien ignorée quoique bien méritante. Nous voulons parler de Mme Le Breton, ancienne cantinière au 1er Zouaves, titulaire de la médaille militaire et de deux médailles de sauvetage. Petite-fille d'une cantinière, Mme Perrot, qui fut chevalier de la Légion d'honneur, fille du commandant d'artillerie Bernadotte, officier de la Légion d'honneur, Mme Le Breton naquit en 1830 au fort de Mers-el-Kébir (Algérie). Elle se maria en 1845 et devint cantinière au 1er zouaves. En cette qualité elle prit part aux campagnes de Crimée, d'Italie, du Mexique, à la campagne de 1870-1871 où elle fut blessée et faite prisonnière de guerre. Enfin, dernièrement encore, et malgré son grand âge, elle suivit la colonne qui opéra au Maroc où elle fut blessée à nouveau et retenue quelque temps captive.
    Mme Le Breton, qui était veuve, restait sans famille et sans fortune. Personne ne la réclamant, elle a été inhumée au cimetière particulier de l'Asile national du Vésinet. Les convalescentes avaient pour elle la plus vive et la plus respectueuse affection. Un grand nombre d'entre elles l'accompagnèrent jusqu'à sa tombe, où M. Gros, directeur de l'Asile national, prononça le discours suivant : [1]

      Mesdames,

      Je vous remercie d'être venues si nombreuses aux obsèques de Mme Le Breton et de la pensée touchante que vous avez eue de lui offrir une couronne. Les uns et les autres nous ne savions d'elle que ce que nous enseignait le petit ruban qu'elle portait sur la poitrine. Ce ruban signifiait que Mme Le Breton, qui était cantinière depuis 1845, avait pris part aux campagnes de Crimée, d'Italie, du Mexique et, plus près de nous, à la campagne franco-allemande.
      Partout, elle fit pleinement son devoir. Titulaire de la médaille militaire pour sa belle conduite à la bataille de Solférino, elle avait en outre deux médailles de sauvetage. Certes, il n'apparaît pas qu'elle ait été récompensée selon son mérite. Aussi, ai-je l'impression d'interrompre une longue suite d'ingratitudes, une persévérante injustice, en répétant tous les titres qu'avait Mme Le Breton à l'estime de la société. Elle meurt pauvre et délaissée, puisque nous, qui ne la connaissions pas il y a un mois, sommes seuls autour de sa tombe ouverte. Encore, puis-je dire qu'elle aura trouvé ici sa dernière satisfaction. « Je ne souhaite rien d'autre, m'assurait-elle, il y a quelque temps, que de mourir à l'Asile. » Son vœu s'est trop tôt exaucé... Elle reposera donc dans notre cher et paisible cimetière, toute proche de la tombe où sont inhumés les soldats, ses compagnons qui, en 1870-1871, moururent en combattant.

      Pour elle, c'est fini...
      Je vais m'employer à faire couvrir sa tombe d'une modeste pierre, sur laquelle on inscrira les nobles actes et les belles qualités de la cantinière Le Breton. L'Asile national du Vésinet sera fier de conserver la dépouille de cette bonne Française. Qu'elle reçoive ici, de nous tous, un suprême et respectueux adieu.
      [2]

    Le directeur, dans son discours, promettait à la brave cantinière un monument funéraire. Il ne restait plus qu'à recueillir les fonds nécessaires à ce suprême hommage patriotique. L'Association des Dames Françaises, désireuse de collaborer directement, à cette œuvre, a fait parvenir à M. le directeur de l'Asile national du Vésinet une somme de vingt francs. M. le Directeur de l'Asile nous a remercié de notre empressement et prié de faire accepter ses remerciements à tous les membres de l'Association. Grâce à notre concours et à d'autres, dictés par le même sentiment, il est assuré de pouvoir rendre à Mme Le Breton l'hommage suprême qu'elle mérite.

Extrait du registre des déclarations de décès à l'Asile national du Vésinet. [3]

Archives de l'Hôpital du Vésinet

 

C'est donc, M. Gros, directeur de l'Asile, qui semble à l'origine de ce que nous appellerons « la Légende » de Mme Le Breton. En invitant le maire du Vésinet, Gaston Rouvier, et la presse, il fit de ces obsèques un « événement ». Nous avons dénombré plus d'une trentaine de titres parisiens ou provinciaux qui, dans la semaine qui suivit les obsèques, reprirent la nouvelle (la plupart reproduisant à l'identique un texte d'une dizaine de lignes, quelques-uns y ajoutant des détails ou des précisions inédites).
La personnalité de notre directeur, Jean-Marie Romain Gros, n'est pas sans intérêt. Âgé de 40 ans, directeur honoraire au Ministère de la Guerre, il était sensibilisé aux choses de l'Armée sans avoir eu l'occasion de beaucoup servir sur le terrain. Il avait gagné sa Légion d'Honneur sous les ors de la République (chef adjoint de la présidence du Conseil, chef du cabinet civil du général André, ministre de la Guerre de 1900 à 1904). [4]
Mais son activité à l'Asile du Vésinet devait lui laisser du temps car il était alors, aussi, rédacteur en chef du Réveil de Saint-Germain sous le pseudonyme de Duval et rédacteur ou correspondant de divers titres provinciaux. [5] Il avait ainsi « enquêté » sur la fin du président Félix Faure (1899), parvenant à des conclusions surprenantes. Un complotiste avant l'heure. Sa fibre journalistique l'a sans doute incité à répandre la nouvelle de ce décès, terme d'une vie qu'il jugeait édifiante.

Dix-huit ans plus tard, le journal, Le Semeur, consacra un bref article sous la signature de Gaston Boudan dans sa rubrique variétés, à notre cantinière, en titrant cette fois sur la parenté supposée de cette dernière avec le général Bernadotte, maréchal de France puis roi de Suède et initiateur de la famille régnante de ce pays. Ce nouvel article comporte quelques divergences avec ceux de la première vague et on serait en droit de supposer qu'il s'agit de rectifications. [6]

    Une cousine du Roi de Suède à l'Asile du Vésinet

    Il y aura 98 ans le mois prochain, 29 mars 1830, naissait à Mers-el-Kébir, près d'Oran, une fillette, dont le nom et la vie furent un véritable roman ; cousine de Roi, elle devait aller mourir complètement ignorée dans un hospice de vieillards de la banlieue parisienne, après une vie héroïque. Les quelques détails, que nous en donnerons auront certainement pour nos lecteurs la saveur de l'inédit et le charme d'une révélation.

    Léontine Bernadotte était la fille de Hubert Bernadotte, un capitaine d'artillerie, qui avait épousé une vaillante cantinière, Rosalie Peyrot, chevalier de la Légion d'honneur. « Enfant de la balle » la petite Léontine suivit la tradition maternelle, épousa un soldat nommé Henri Lebreton, et devint cantinière. Elle fit toutes les campagnes du Second Empire : Italie, Crimée, les campagnes d'Afrique et la guerre de 1870-1871 ; elle avait également pris part à l'expédition du Mexique, et avait été faite prisonnière lors d'un combat au Maroc.

    Véritable type de la cantinière de l'ancienne armée, Mme Lebreton, avait le culte de la gloire militaire et du dévouement, elle était titulaire de deux médailles de sauvetage et n'était pas peu fière de porter la médaille militaire. Puis ce furent les tristes années de la vieillesse, dans un modeste logement, au 12, passage Saint-Ange, à Paris, et enfin pour celle qui était apparentée avec la famille régnante de Suède, le calme et la tranquillité matérielle à l'Asile National du Vésinet, où elle mourut le lundi 9 janvier 1911, à l'âge de 80 ans.

    Les obsèques fort modestes, furent célébrées dans la chapelle de l'Asile National, en présence de M. Gaston Rouvier, maire du Vésinet, du directeur de l'établissement et de nombreuses pensionnaires, puis Mme Lebreton fut inhumée dans le cimetière particulier de l'Asile, où un petit monument funéraire fut élevé sur sa tombe.

Le même Gaston Boudan, continuera à raconter la singulière destinée d'une cousine du roi de Suède, Léontine Bernadotte, femme Henri Lebreton, cantinière sous le second Empire, morte à l'asile du Vésinet en 1911, dans des conférences dont un numéro de la Revue de l'histoire de Versailles et de Seine-et-Oise en a publié le résumé. Après lui, tous les auteurs qui s'intéresseront à l'ancien Asile Impérial du Vésinet s'attarderont sur le cas de notre cantinière, sans toutefois apporter le moindre élément concret propre à en confirmer la véracité.

De ses obsèques modestes auxquelles la présence de Gaston Rouvier, conférait une certaine solennité, il reste un monument funéraire, inventorié parmi les éléments patrimoniaux de la commune en 1986.
Les historiens locaux et les collectionneurs ont aussi exhumé une vieille photographie, datant probablement des années 1870, représentant notre héroïque cantinière et ses décorations. La photographie fut éditée en carte postale après le décès de l'intéressée, en janvier 1911. Elle servit aussi probablement de modèle pour la réalisation du monument funéraire élevé grâce à l'appel aux dons de M. Gros. L'une et l'autre sont pour l'instant les éléments les plus tangibles pour conserver la mémoire Mme Lebreton. [7]

Carte postale éditée après le décès de Mme Lebreton.

La date du cliché original reste à déterminer.

Sépulture de Mme Le Breton au cimetière de l'Asile du Vésinet.

Édifiée sur souscription publique. Cliché, inventaire, 1986.

 

Et puis, vint l'anniversaire de l'inauguration de l'Asile Impérial, en 1859, et l'exposition que prépara la Société d'Histoire du Vésinet en cette circonstance [8]. Des recherches historiques et généalogiques furent entreprises alors pour apporter des réponses aux questions restées en suspens à propos de notre mystérieuse Mme Lebreton dont la tombe se dresse toujours au milieu des herbes folles qui ont envahi le vieux cimetière de l'Asile.

 

Deuxième partie : La réalité des faits

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    Notes et sources :

    [1] Bulletin de l'Association des dames françaises (Paris) février 1911

    [2]Dans sa version de l'article consacrée à l'ancienne cantinière, La Petite République précisait : Il y a un mois, un hôpital parisien envoyait à l'Asile national des convalescentes, au Vésinet, une dame Le Breton, âgée de quatre-vingts ans,.. La Petite République, 15 janvier 1911.

    [3] Il faut prendre le temps d'examiner cette page consacrée à ce décès dans le registre que conserve l'Hôpital. On y lit en gros caractère le nom de Bernadotte que l'on découvrira être une erreur commise lors de l'enregistrement du décès du mari, Henry Le Breton, en 1908. On y lit ensuite le prénom de Léontine, pour la première fois. On y relève enfin une date d'entrée à l'Asile national : le 29 juillet 1910. On lira ailleurs qu'elle n'y serait entrée qu'en janvier 1911.

    [4] Jean Marie Romain Gros, commandeur de l'Ordre de l'Etoile Noire (1899) sera fait officier de la Légion d'Honneur en 1914. Il sera plus tard un des fondateurs de l'Omnium de Publicité (1928). Il se verra décerner la médaille d'or de l'Assistance publique en 1932.

    [5] Le Temps, 8 avril 1914.

    [6] Le Semeur de Versailles et de L'Ile de France, n° 1607, 23e année, 16 février 1928.

    [7] Selon les termes de son acte de décès enregistré le 9 janvier 1911 à l'Etat civil du Vésinet « Léontine Bernadotte âgée de quatre vingts ans, rentière, domiciliée à Paris, passage Saint-Ange, douze, née le vingt neuf mars mil huit cent trente à Mers-el-Kébir, département d’Oran (Algérie), fille des défunts Hubert Bernadotte et Rosalie Peyrot et veuve d’Henri Lebreton », est décédée le 8 janvier 1911. Cet acte ne fait que reproduire les données figurant sur le registre des décès de l'Asile.

    [8] 1859, l’inauguration de l’Asile impérial du Vésinet. Le Vésinet-Magazine n°67 novembre-décembre 2019.


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