L'Avenir de Saint-Germain et Journal de Versailles, dimanche 16 février 1890.

 Les obsèques de M. Etienne Pallu (1854-1890)

Le matin du dimanche 9 février 1890 la population du Vésinet était consternée par une nouvelle aussi subite qu'imprévue. M. Etienne Pallu [1], directeur de la Société qui a créé le Vésinet, venait de mourir la veille, à 36 ans, après quelques jours de maladie.
Ses obsèques eurent lieu le mardi matin, 11 février, à 11 heures et demie. Elles ont donné lieu à la plus émouvante manifestation de sympathie ; la municipalité et les sociétés privées dont M. Pallu était membre ou président s'étaient entendues pour donner au cortège le caractère le plus imposant. En tête marchait, jouant des airs funèbres, la fanfare la Concorde, dont M. Pallu était président d'honneur ; puis précédés de magnifiques couronnes, offertes par le conseil municipal, la Société de secours mutuels des sapeurs-pompiers, la Société de gymnastique L'Espérance, les drapeaux des sapeurs-pompiers et de la Société de gymnastique.
Les cordons du char étaient tenus par MM. Ledru, maire du Vésinet, Coutant, directeur du collège Chaptal, Bivort, président de la Société de secours mutuels, La Prévoyance, et le doyen des employés de la Société du Vésinet, M. Lepant. Derrière la famille, marchaient les employés de la Société, portant une splendide couronne de violettes et de lilas blancs, les enfants des écoles, le bataillon scolaire, une députation du collège Chaptal, les membres du conseil municipal, de la Société des secours mutuels, de l'Union des Commerçants, de la Gaîté, et une foule considérable.
Au cimetière, M. Ledru, a retracé la vie de M. Pallu dans un éloquent discours, qui a produit une vive impression. Nous sommes heureux de pouvoir le reproduire :

Messieurs,
Il y a quelques semaines, dans cette villa si riante, si hospitalière de la Marguerite, nous fêtions la promotion de M. Pallu dans la Légion d'honneur
[2]. Qui eût dit que ces amis, joyeusement rassemblés autour de lui, ne se trouveraient plus réunis qu'auprès d'un cercueil, au bord d'une tombe, brusquement et prématurément ouverte ?
Cette vie si courte a été admirablement remplie.
Etienne Pallu avait été, dans sa jeunesse, le collaborateur et l'ami d'un homme de grand coeur et de grand talent, dont la perte a laissé dans le département de Seine-et-Oise un vide irréparable : Albert Joly.
[3] En suivant tout à l'heure le triste convoi, voyant inscrit sur nos murs le nom de l'ancien député de la première circonscription de Versailles, je me prenais à accuser la cruauté du sort qui frappe ainsi à la fleur de l'âge, dans toute la force de l'intelligence, les hommes les plus utiles à leur pays !
Appelé, il y a dix ans, à remplacer son vénéré père comme directeur de la Société du Vésinet, Etienne Pallu se montra, par son activité, par son étonnante faculté d'assimilation, par son esprit de décision, à la hauteur du lourd fardeau qui lui incombait. Quelle perte fait en lui la Société, quels regrets il laisse parmi ses employés, quel chef juste et bienveillant il a été, cette couronne, le personnel qui se presse autour de moi, et, entre tous, le serviteur dévoué et modeste qui m'accompagnait près du char funèbre, sont là pour l'attester !

La perte est égale pour la ville du Vésinet, à la création de laquelle le nom de Pallu reste indissolublement lié. Il n'est pas une œuvre d'intérêt public ou une œuvre de bienfaisance, à laquelle il n'ait prêté le concours le plus dévoué et le plus généreux, payant de sa bourse et payant de sa personne.
On vous dira dans un instant ce qu'il a été pour les enfants de nos écoles : un bienfaiteur dont la sollicitude était toujours en éveil pour leur procurer ou un plaisir ou un moyen de s'instruire.

Enumérerai-je ses titres ? les oeuvres auxquelles ii participait ?
Vice-président de la Caisse des écoles, président de la Société de secours mutuels des sapeurs-pompiers, président d'honneur de la fanfare la Concorde, vice-président de la section des Brancardiers-Mariniers de la Croix-Rouge, administrateur de la Prévoyance, de la Société de gymnastique l'Espérance ...S'il m'arrive d'oublier quelqu'une de ces sociétés, je suis assuré qu'aucune ne l'a oublié ; toutes sont là, confondues dans la même douleur et les mêmes regrets.
Parmi ceux qui m'écoutent, figurent des jeunes gens portant l'uniforme d'un grand collège de la ville de Paris, des élèves du collège Chaptal à qui M. Pallu avait ouvert les vastes perspectives du Champ-de-Courses pour ces jeux de plein air, où ils trouvent le délassement de leurs études quotidiennes. Il voulait plus et mieux ; il rêvait de fixer ces jeunes gens au Vésinet d'une manière permanente. Il espérait, activement secondé par l'intelligent directeur de Chaptal, obtenir du conseil municipal de Paris la création d'une succursale de ce grand établissement.
J'ai dit qu'il rêvait. J'avais tort. M. Pallu ne rêvait pas. Quand il avait formé un projet, il savait l'exécuter. Témoin la transformation accomplie par lui dans l'exploitation des carrières de Tekbalet, transformation attestée, à l'Exposition universelle, par ces magnifiques blocs de marbre, cette élégante vasque en onyx, qui faisaient l'ornement du Palais algérien, véritable merveille au milieu de tant de merveilles accumulées par le génie et le travail humains.
En récompense il reçut cette croix, arrivée hélas ! pour figurer sur son cercueil !

Vous entendrez les amis de la famille vous exprimer leur affliction. Puis-je cependant oublier cet intérieur si plein de vie, cette maison si gaie et l'accueil toujours souriant, toujours affable du maître de cette maison ? Puis-je oublier la douleur des trois petits orphelins, la douleur de la jeune veuve, la douleur de cette mère, qui semblait avoir payé un assez lourd tribut à la destinée pour espérer que le dernier de ses enfants lui fermerait les yeux ?

Pauvres parents ! II n'est pas de consolation à de telles douleurs. Mais s'il est pour vous un adoucissement, si quelque chose peut vous aider à en porter le poids, c'est la touchante manifestation dont ce cimetière est le théâtre, ce concours de population, ce témoignage unanime de respect, de reconnaissance pour celui que vous pleurez, que nous pleurons avec vous et à qui nous adressons un dernier adieu !

Malgré la tristesse du lieu, des applaudissements ont applaudi cette émouvante péroraison.
Des discours ont été ensuite prononcés par M. Bivort, au nom de la Société la Prévoyance, par M. Chameroy. au nom de la Société de gymnastique l'Espérance, par M. Debraine, instituteur, par M. Thibaut, comme ami de la famille, enfin par le directeur du collège Chaptal, M. Coutant, qui a su, dans la forme la plus heureuse et le langage le plus élevé, exprimer à la fois la douleur de l'ami et la reconnaissance de ses jeunes élèves.

***

    Notes complémentaires et sources :

    [1] Charles Marie Etienne Pallu est né à Paris, 52 rue Taitbout, au domicile de ses parents. Son père est alors rentier, maire de Pontgibaud, membre du Conseil général du Puy de Dôme.

    [2] Etienne Pallu avait reçu le 15 janvier 1890 la croix de chevalier de la légion d'honneur des mains du contre-amiral Pallu de la Barrière, major général de la Marine, son parent. Cette médaille récompensait le succès des produits de l'exploitation des marbres onyx d'Algérie, présentés par la Compagnie Pallu à l'exposition universelle de 1889, récompensés par une médaille d'or et une médaille d'argent.

    [3] A la mort d'Albert Joly, député républicain de Seine & Oise en 1881, Alphonse Ledru avait été candidat malheureux à sa succession.

     


Société d'Histoire du Vésinet, 2014 - www.histoire-vesinet.org