La Gazette du Vésinet et de Chatou, n°40 - 2 février 1902

Histoire d'un individu à mine patibulaire
par Maurice de Vlaminck

Dans sa plus tendre enfance il se fit remarquer par un caractère obstiné, têtu dirai-je même ; c'est à lui que les écoliers doivent le sale truc d'arracher les pattes aux mouches et d'écrire avec ..., d'une ténacité remarquable il restait de bons moments songeur, les yeux en clous de souliers, pour arriver à faire aboutir une de ses espiègleries ou une de ses manigances ...; après avoir avalé des asticots il s'efforçait pendant des heures à ne recracher de ces bestioles que les genoux en évitant le mal au cœur.
L'âge de raison le rendit amoureux... étant sans fortune il comprit qu'en ce monde l'argent faisait le bonheur aussi résolut-il d'en avoir un tas.
D'un esprit créatif et patient, il excella dans les inventions ; c'est lui qui trouva la viande liquide fabriquée avec du cheval de course, nourriture très recommandée aux banquiers, caissiers et notaires ; cela se vendit relativement peu, la nécessité l'obligea à boire son fonds, il s'emballa de nouveau sur une autre affaire véreuse ; remarquant fort intelligemment que le chien basset avait un cours très élevé sur le marché aux chiens, il ramassa sans distinction de race tous les animaux de l'espèce chien qu'il put trouver, et armé d'un grand fouet il les fit courir des journées entières sur une piste de papier de verre n°3 mais la déveine le poursuivait implacablement ; au moment où ses chiens allaient avoir les pattes usées à la longueur réglementaire pour faire de très beaux bassets ils crevèrent tous de la maladie.
Dégoûté, révolté contre le sort le microbe de l'anarchie germa en sa cervelle, il partit un beau matin de sa ville natale pour lancer un nouveau produit, un poison violent, le poison révolutionnaire, devant changer le grand principe social, le poison pour les miséreux, pour les travailleurs, donnant la mort sans douleur !

Portrait de Vlaminck par Derain, 1905

Il fit de belles conférences dans les grands centres industriels, dans les grandes citées ouvrières, et là, devant des centaines de mille de travailleurs, dans des discours emphatiques il leur expliqua que sur cette terre, une moitié du genre humain travaille pour nourrir l'autre moitié vivant à ne rien faire !

    « Oui camarades ! malgré vos grèves, malgré vos syndicats, malgré les efforts inouïs du socialisme rien n'a encore changé !
    Eh ! bien compagnons, moi seul possède le remède sur et certain pour amener la société idéale à l'égalité humanitaire, moi seul possède le moyen d'embêter cette moitié parasitaire et fainéante, qui se gorge de votre sueur !
    Citoyens empoisonnez-vous tous avec mon incomparable poison que je vends à un prix dérisoire de bon marché ! »
     

C'était cruel mais logique, ô combien ! Il fut hué, gaulé à coup de tabourets, dans sa dernière conférence il eut un œil crevé par un éclat de rire. C'était la faillite...
Son poison n'avait pas de succès..., il n'en vendit que deux boites à un fou, et une autre à une hystérique.
Convaincu que le monde ne comprendrait jamais les doctrines de la phylosophie [sic] du bon sens, il alla la prêcher dans le désert, en revint quelques mois après plus riche de trois corps aux pieds et couvert de poux d'une espèce très rare, inconnue des paillasses parisiennes, il en donna sans arrière pensée, une bonne moitié à une femme de sa connaissance qui lui prêta vingt sous... alors plein d'espoir en son étoile il courut chercher un billet de la loterie faite au profit des enfants morts-nés.
Et comme il n'y a de la chance que pour la canaille je lui souhaite de gagner les deux cent mille francs.


Société d'Histoire du Vésinet, 2012 - www.histoire-vesinet.org