D'après Michel Nilles, Mémoire de Maitrise, Paris I, 1989

Les premières bonnes tables du Vésinet

La vie économique de la jeune colonie se développe beaucoup dans la satisfaction des besoins domestiques, le jardinage et aussi dans la restauration et l'hôtellerie. Les débits de boissons, cafés, guinguettes, estaminets, se multiplient dans tout le Vésinet mais avec des contraintes clairement précisées pour chaque parcelle vendue. Dans certains secteurs « il sera facultatif à l'acquéreur d'y établir et d'y exploiter ou d'y faire exploiter un commerce, mais seulement, pour un café ou un restaurant élégant avec ou sans appartement meublé, mais avec exclusion formelle de bal, comptoir, débit de vin ou liqueur pouvant donner à l'établissement le caractère d'une guinguette, d'un cabaret ou café chantant. » [1].
Les restaurants les plus renommés sont le Chalet de la Station du Pecq, très souvent cité, et le restaurant Lecomte sur la pelouse des Concerts :

...Qu'on ajoute à cet établissement une infinité d'autres restaurants, cafés, traiteurs et débitants de vins, groupés sur la place du Marché et de la Fête patronale ou disséminés sur la ligne du chemin de fer, aux abords de la station du Vésinet et près du kiosque des concerts, et l'on sera facilement convaincu qu'il est possible de faire, dans le vaste rayon du Parc, de longues excursions sans courir le danger des rudes atteintes de la faim et de la soif. [2]

Ces établissements ont été dès l'origine prévus par la Compagnie Pallu pour l'accueil des acheteurs éventuels et pour le plaisir des nombreux promeneurs. On verra qu'à mesure de la réalisation des aménagements du parc, la Compagnie Pallu n'hésitera pas à déplacer les lieux festifs pour les rapprocher des parcelles mises en vente.

On n'hésitera pas à évoquer Vatel au sujet des deux plus grands restaurants du Vésinet, ceux de Lecomte et de Prat. Le Chalet de la Station du Pecq, est d'abord exploité par Pichereau, aubergiste-limonadier de Saint Germain. Puis celui-ci vend son fonds à la Compagnie Pallu, en mars 1861, avant de se retirer en province, et un certain Neveu devient gérant. Mais à l'automne 1862, Ferdinand Prat, ancien chef du mess des officiers des Guides de la Garde (en garnison à Saint Germain) lui succède. Le nouveau gérant qui a été également cuisinier au Grand Hôtel du Louvre et à l'Hôtel de Wagram, rue de Rivoli à Paris, réaménage le Chalet-Restaurant sur des bases nouvelles, lui donnant une tout autre réputation.


Le Chalet de la Station du Pecq (René Pichereau, exploitant)
Détail d'une gravure d'E. Bourdelin, Le Monde illustré, juin 1859.

Comme le Vésinet est devenu un « haut lieu de promenade » [3], des paniers de pique-nique, avec les ustensiles indispensables, sont à la disposition de la clientèle. On peut retirer les repas au panier chez Prat, composés de « pâté, poulet rôti, jambon glacé, dessert, pain et d'une bouteille de vin, avec service de table » afin de s'offrir un pique-nique sur l'herbe.
En 1865 cependant, la vente par adjudication ne donnant plus satisfaction, elle est supprimée et la Compagnie Pallu ne juge plus nécessaire de conserver le Chalet à son emplacement. Il est donc démonté et sera rebâti rue du Marché où il aura encore de multiples emplois : école, mairie, temple maçonnique, studio de photographe et maison d'habitation, sa première et plus célèbre occupante étant la comtesse de Chabrillan qui le nommera Chalet des Fleurs.


Le déjeuner sur l'herbe (M. Marold)

Un autre grand cuisinier de Paris, Lecomte, a ouvert un restaurant, propriété de la Compagnie Pallu, en mai 1862, sur la pelouse des Concerts, près du kiosque, remplaçant la "tente nomade" de Amédée Choteau, un restaurateur saint-germanois et entrepreneur de fêtes publiques que la Compagnie Pallu avait l'habitude de solliciter.

...La pelouse s'étire de la gare centrale en direction du lac Inférieur. Le kiosque est dressé entre la route Centrale et une rivière dans un des cadres les plus pittoresques du Parc. Un sentier partant de la gare du Vésinet, rejoint directement le kiosque par la pelouse. [4]

Le nouvel établissement est équipé de multiples divertissements : billards chinois, toupies hollandaises [5], loteries, etc. Le choix des repas est varié. On peut y manger au menu et à la carte, à midi et le soir, ou à table d'hôte, pour 3 frs. Il propose un menu à 4 frs qui se compose de « potage, hors d'œuvre, poisson,' rôti, légume en salade, dessert et vin de Mâcon ».
Au printemps 1862, des spectacles pour enfants se multiplient, ainsi que les promenades sur des ânes et des chevaux de selles. Une « asinerie » est ouverte près de l'embarcadère (l'accès au quai) de la gare du Vésinet.

Pendant les jours de concerts et de fêtes, les établissements sont bondés, et parfois, on se plaint du service trop long.
Mais le kiosque déserte la pelouse des concerts en 1864. Le restaurant Lecomte périclite. Désormais, la fête gastronomique va s'animer entre le Grand Lac et le Village qui se développe. Des auberges s'établissent sur la route de Chatou. D'autres établissements se concentrent près de la station du Vésinet, et autour de la place du Marché. Le restaurant Grenier, au Pavillon Corvisart avec ses écuries et remises, est fort bien noté pour sa coquetterie et son élégance. Il doit son nom à l'un de nos premiers villégiateurs, le baron Corvisart, qui passe la belle saison au Vésinet, depuis la création du parc. [6]


Le Pavillon Corvisart tel qu'il subsistait en 1960.

Pour la première veillée de Noël à l'église, en 1865, les restaurants du village restent exceptionnellement ouverts la nuit pour accueillir la sortie de la messe de minuit.
Les établissements disposent pour la plupart de salons privés, d'estaminets (lieux pour boire et fumer) et surtout des billards et des jeux. Les jardins sont agrémentés de bosquets. Les tables sont disposées sur les terrasses herbues. Le plus connu d'entre eux, Le Café Turc [7], est tenu par François Joiron. Ancien garde général du Parc du Vésinet, il occupa le pavillon de garde du rond-point Royal au n°19 de l'avenue du Grand-Veneur, avant d'acheter le lot n°140 du Village (actuellement à l'angle gauche de la rue du Maréchal-Foch et du Boulevard Carnot) et de se reconvertir dans la restauration. L'endroit est aménagé en un vaste jardin, agrémenté de tonnelles treillagées façonnées en berceaux et de balançoires. Une centaine de chaises en paille et bois foncé, entourent des tables qui sont pour la plupart fixées en terre. Au fond, un hangar abrite un billard et une toupie hollandaise.
C'est là que le 29 Août 1865 sera fêtée la première Saint-Fiacre (patron des jardiniers).

***

    Notes et autres sources :

    [1] Archives Moisson: Cahier des charges de la 19ème adjudication, le 26 septembre 1861.

    [2] L'Industriel de Saint Germain, 2 mai 1863.

    [3] Le Furet du Vésinet et l'Industriel de St Germain proposent dès 1862 des itinéraires pédestres pour visiter les lieux les plus pittoresques du Parc.

    [4] Ce premier kiosque sera plusieurs fois déplacé. Installé en 1861 sur la Pelouse des Concerts, avenue Centrale autour du lot 77, îlot 5, non encore vendu (M. Nilles, 1989). Il ira en 1864 se dresser près du Lac Supérieur, dans le triangle formé par les actuelles allée des bocages, rue des réservoirs, boulevard des Etats Unis. Puis, en 1866, il fut déplacé dans l'Ile du Grand Lac.

    [5] La Toupie hollandaise dite aussi Jeu du Roi, Quille des Indes ou encore Dame Blanche. Le joueur lance une toupie, qui doit renverser des petites quilles représentatives de la hiérarchie sociale (soldats, chevaliers, roi).

    [6] L'Industriel de Saint Germain, 22 décembre 1866.

    [7] Désigné dans certaines publications Jardin-Turc. C'est peut-être une confusion avec un établissement du Boulevard du Temple à Paris, fréquemment cité dans la presse.


Société d'Histoire du Vésinet, 2015 - www.histoire-vesinet.org