Sources: Archives municipales du Vésinet (1914-1919)

Consommation, ravitaillement, rationnement

Dès 1914, le problème de ravitaillement se pose. Les oeuvres sociales existantes, le bureau de bienfaisance, le fourneau économique seront en première ligne durant les premiers mois du conflit, soutenus par les habituels généreux donateurs tels le conseiller municipal Plumkett qui organisera une distribution de repas gratuits.

  • La Commission de ravitaillement

A son retour de Bordeaux, Gaston Rouvier met en place une "Commission de ravitaillement" (en vertu de l'état de siège, par arrêté municipal du 2 août 1914). Elle se réunit le dimanche 24 janvier 1915, pour examiner les questions relatives à l'augmentation progressive du prix de certaines denrées au Vésinet et à la non-diminution du prix du pain. Elle décide d'entrer immédiatement en pourparlers avec les six boulangers de la ville, et de faire surveiller attentivement le cours des autres denrées. Elle compte sur le patriotisme des commerçants, pour ne plus voir se renouveler les plaintes qui ont été apportées à la mairie. MM. Bonnefond, Rouveirolly et Tabart, conseillers municipaux, sont désignés pour constituer cette commission.
Les négociations avec les boulangers ne donnant pas les résultats escomptés, la commission municipale de ravitaillement prend l'arrêté suivant:

Vu la délibération prise à l'unanimité par la Commission municipale de ravitaillement, dans sa séance du 7 février 1915,
Considérant que la situation économique du pays permet de ne plus appréhender les difficultés d'approvisionnement qu'il était légitime et prudent de prévoir à la date du 4 août dernier ;
Considérant que le pain de première qualité est vendu dans des communes voisines, notamment à Saint-Germain-en-Laye et au Pecq, 0 frs 85 les deux kilogrammes, le pain y étant porté à domicile, - tandis que dans notre commune, où cependant le portage a été temporairement supprimé, tous les boulangers (à l'exception d'un seul) ont refusé à la municipalité d'abaisser le prix des deux kilogrammes de 0 frs 90 à 0 frs 85 ;
Considérant que dans ces conditions, et afin de faire bénéficier notre population des avantages dont jouissent nos voisins, il convient d'abord, de rendre libre la concurrence entre tous les boulangers de la ville et des boulangers forains ; et qu'il y a donc lieu d'autoriser le portage du pain à domicile, commodité que la population, au reste, n'a cessé de regretter ;
Arrête :

  • Article premier: sont abrogées les dispositions de l'arrêté municipal du 4 août 1914, interdisant le portage du pain à domicile et à la fabrication du pain dit de fantaisie. Le portage du pain à domicile est donc autorisé pour tout boulanger.
  • Art. 2: sont expressément confirmées les dispositions dudit arrêté relatives au prix du pain. Ces dispositions ne sont pas appliquées actuellement au pain dit de fantaisie ;
  • Art. 3: M. le Commissaire de police est chargé de veiller à la répression, conformément aux lois et règlements, de toute infraction au présent arrêté.
  • Le Syndicat Communal de Consommation

Le conflit s'éternisant, les difficultés de ravitaillement se généralisant, les autorités municipales sont amenées à mettre en place une structure qui prendra en charge elle-même la distribution des produits dits de première nécessité. Ce sera le Syndicat Communal de Consommation pour l’abaissement du prix des denrées de première nécessité, pendant la durée de la guerre (SCC) qui fonctionnera de 1916 à 1919. Il organisera le commerce de la viande grâce à une Boucherie Municipale. Il achètera et distribuera le charbon, le Cardiff, le Northumberland, l'anthracite puis le coke et le "poussier".
Durant tout le conflit, l'approvisionnement en charbon fut un problème récurrent:

"En raison de l'épuisement du premier stock, la vente au détail du charbon de Cardiff est momentanément suspendue".
"L'arrivée de la nouvelle cale de charbon de Cardiff étant annoncée, le maire compte reprendre la vente au détail dès dimanche".

Et ainsi de suite. La progression des péniches devant débarquer leur précieux chargement au Pecq était suivie avec impatience. Les nouvelles et les décisions du SCC étaient diffusées par voie d'affiches, souvent manuscrites.

"On estime que le nouveau stock sera suffisant pour la durée de la mauvaise saison".
"Le débarquement de la péniche d'anthracite, retardé pour des motifs de force majeure, se termine. Il va être procédé d'urgence au recriblage, et les livraisons vont commencer à bref délai. Les acheteurs seront prévenus personnellement".
"Il ne reste plus, pour ce trimestre, de charbon de Cardiff ni d'anthracite à vendre. Aucune demande ne pourra plus être acceptée."
etc...

Les livraisons se font par secteurs tirés au sort. Les réserves de charbon sont vite épuisées: " Le Cardiff et l'anthracite déjà vendus sont livrés dans le plus bref délai. Cardiff, anthracite tel quel, anthracite "recriblé". On prend ce qu'on trouve. Les acheteurs seront prévenus de la date approximative de livraison. Toute commande non réceptionnée à la livraison devra être reprise à la mairie par l'acheteur, à ses frais. Il sera dû, pour mise en cave, dix centimes par sac. Lorsque les négociations permettent une réduction des prix, acheteurs sont remboursés : "...Une somme approximative de 11 francs par tonne sera prochaînement rendue aux acheteurs de Cardiff." Il n'est pas question que le Syndicat fasse des bénéfices.
Les ventes de Cardiff (par sac de cinquante kilos pour un prix de l'ordre de 5 frs 50) ont lieu, à la mairie, tous les dimanches matin, de 9 à 11 heures. Les cartes du S.C.C. sont indispensables. Un seul sac par carte. De graves abus s'étant produits dans la vente au détail du charbon le maire se voit dans l'obligation de prendre les mesures suivantes :

Il ne sera vendu de charbon qu'au titulaire même de la carte du S.C.C. porteur de cette carte.
Une signature pourra être exigée de lui. Par exception, le titulaire d'une carte qui ne pourra se présenter lui-même (pour cause de maladies ou de travail) pourra faire faire l'achat par une autre personne, habitant Le Vésinet, en lui remettant un papier signé de lui et ainsi rédigé :
« M…, habitant au Vésinet, rue…, titulaire de la carte n°…, charge M…, habitant au Vésinet, rue…d'acheter pour lui à la mairie, le …, un sac de charbon de Cardiff, signé :… ».
Ce pouvoir ne sera valable qu'une seule fois. Toute personne ne pourra être chargée que de deux pouvoirs au plus (et ne pourra ainsi acheter que trois sacs au plus, y compris le sien).
Toute personne qui aurait prêté sa carte soit à une personne n'habitant pas Le Vésinet, soit à un habitant du Vésinet achetant pour lui un sac de charbon, - aurait sa carte du S.C.C. suspendue pour un mois et ne pourrait, pendant cette durée, participer à aucun achat.
Le maire prie ses concitoyens, dans leur intérêt, de vouloir bien l'aider à réprimer les abus.
Mieux on observera cette règle : un sac de charbon par famille du Vésinet pour une semaine, et plus longtemps du charbon pourra être mis à leur disposition.
A partir du lundi 11 décembre, les acheteurs de charbon au sac pourront commander et payer leur sac tous les jours de la semaine, de 10 h à midi et de 2 h à 4 h, au secrétariat de la mairie.
Ils pourront retirer le charbon selon leur demande, soit le dimanche suivant, soit le lundi suivant, de 9 h à 11 h.
Observer ponctuellement les mesures énoncées ci-dessus.

L'hiver 1917 est exceptionnellement rigoureux. Le dimanche 11 février 1917, dans la confusion et les bousculades, 57 500 kilos de charbon sont vendus au sac ! "Il n'y a pas de stock qui puisse suffire à de pareilles ventes" se lamente Gaston Rouvier. Le dernier arrivage ayant été inférieur de 100 tonnes à la quantité demandée, le conseil d'administration du S.C.C. estimant de son devoir d'en prêter une partie à l'usine de guerre, qui en avait un pressant besoin, et la température étant devenue plus douce on suspendit la vente jusqu'au dimanche 25 mars !

Pendant l'hiver, des ventes directes de denrées de première nécessité ont lieu, dans la salle des Fêtes de l'avenue des Pages, le dimanche matin, de 9 à 11 heures et le lundi après-midi, de 3 à 4 h½. Elles comprennent légumes frais (carottes, poireaux et navets), légumes secs (haricots, lentilles et févettes), pommes de terre, pâtes alimentaires (macaroni, nouilles, vermicelle, petites pâtes), riz caroline, savon de qualité extra. "De nouveaux achats sont à l'étude". Une importante commande d'huile d'olive pure, non fruitée, est en route (on l'espère). "Les adhérents qui ne se présenteront pas ces jours-là, se priveront ainsi du bénéfice de toute vente pendant un certain temps. La carte verte sera exigée de tout acheteur.
A mesure que la Guerre se prolonge, le ravitaillement est de plus en plus problématique et la liste des denrées relevant du
Syndicat communal de Consommation s'allonge. Les pommes de terre sont rationnées à partir de janvier 1917. Les 20 tonnes achetées sont bien arrivées, mais en raison du gel excessif, elles sont dans un état qui en rend la presque totalité impropre à la consommation. La vente au détail de carottes, navets, riz, légumes secs, pâtes alimentaires, huile d'olive, savon etc. se poursuivra dans la Salle des Fêtes tout au long de l'année.
Voici un aperçu des prix de quelques denrées de première nécessité
[décembre 1917]:

Pommes de terre

Haricots

Lentilles

Pois cassés

Févettes

Riz

Gruyère

Huile d'olive

Lait condensé

Bougies

Savon français

Savon anglais

0,20 ou 0,25 frs le kilo

1,75 frs

1,10 frs

1,20 frs

1 fr

2 frs

6,40 frs

24 frs les 5 kilos

2 frs la boîte (14 onces)

1,80 frs le paquet de 12

1,45 frs les 500 gr

1,30 frs les 400 gr

Pour obvier à la pénurie de lait, le S.C.C. avait organisé la vente de lait concentré, sucré et non écrémé, des établissements Nestlé [sic], tous les jours, au détail, au prix de un franc les 250 grammes, dans les dépôts suivants: Maison Mancelle, 63 boulevard Carnot, Maison Séguin, 130 boulevard Carnot, Maison Ferry, 18 route de Montesson. Dans les mêmes points de vente, on se réjouit de trouver du saindoux de première qualité, au prix de 4,80 frs le kilo, qui pouvait remplacer l'huile d'olive en rupture de stock !
Même le sarazin, nourriture destinée au poules [tous les vésigondins alors élevaient des poules et des lapins] était rationné.

Malgré l'armistice proclamée le 11 novembre 1918, le rationnement fut maintenu et les tickets de pain pour le mois de décembre fûrent retirés à partir du 20, à la mairie comme si de rien était. Le charbon reprenant la première place avec le retour des frimas, on se préoccupait de connaitre son tour en consultant les tableaux d'affichage: "Numéros [de la carte de charbon] : 1 à 600, lundi 9 décembre, de 9 h à 11 h ; 601 à 900, lundi 9 décembre, de 2 h à 4 h ; 901 à 1200, mardi 10 ; 1201 à 1500, mercredi 11 ; 1501 à 1800, jeudi 12 ; 1801 à 2400, vendredi 13 ; 2401 à 3000, samedi 14. Dans la limite des quantités disponibles. Prix pour décembre, le sac de 50 kilos : houille, 5 francs ; anthracite, boulets, coke, 8 francs.
Sur la déclaration signée que l'on possède un calorifère Michel-Perret
[1], on peut acquérir 400 kilos de poussier d'anthracite remplaçant toute autre fourniture de combustible pour 48 francs. Les quantités disponibles sont aussi fonction de la composition de la famille: Une ou deux personnes (deux sacs) 50 kg de houille ou d'anthracite, 50 kg de boulets ou de coke. Pour 3, 4 ou 5 personnes (trois sacs) soit 50 kg d'anthracite supplémentaire. Et pour 6 à 9 personnes (quatre sacs) 100 kg d'anthracite en supplément.

[1] La maison Michel Perret, à Paris commercialisait alors différents appareils de conception américaine, ancètres de nos chaudières.


Société d'Histoire du Vésinet, 2006 - www.histoire-vesinet.org