Edouard Clavery, dans Urbanisme octobre 1936 (5e Année, n°48) [1]

Le Vésinet
quatre-vingts ans après sa création en cité-jardin

Il y a une quarantaine d'années, un important dictionnaire de géographie donnait, à l'article "Le Vésinet", les indications suivantes: 3.900 habitants, 4.340 avec la commune. Grand champ de courses, important hospice fondé par la Ville de Paris pour les femmes convalescentes; forges, fabriques de vélocipèdes.
A part les données statistiques, sans doute relativement exactes à leur époque (1893), impossible de donner sous une forme plus condensée, une idée plus fausse de la charmante cité-jardin créée de toutes pièces, pour ainsi dire, trente-cinq ans plus tôt, par la conception déterminée et mise en application grâce à l'initiative féconde de M. Alphonse Pallu, homme d'affaires et homme de goût, et de ses collaborateurs.
Le Grand-Lac ou Lac des IbisDisons tout de suite que s'il y eut dans les premières années, soit de 1865 à 1882 ou 1885, un champ de courses au Vésinet, dont la piste, reconnaissable encore entoure, aujourd'hui comme alors le lac, maintenant des Ibis, il y a plus d'un demi-siècle que la dernière réunion hippique y fut donnée.

En vertu des statuts de la Société Pallu, fondée le 24 mai 1856, statuts repris dans un cahier des charges dressé dès le 1er octobre 1858, confirmé en 1863, tout commerce, toute industrie sont interdits sur les 500 hectares constituant le Parc et, depuis 1875, la commune du Vésinet; des exceptions indispensables sont accordées sur trois zones étroites dites le "Village", le "Rond-Point de la République", le "Petit Montesson", représentant ensemble 80 hectares environ. Là sont concentrés les commerces et les petits ateliers, menuiserie, serrurerie, dépôts d'automobiles, nécessaires à l'existence. A vrai dire, il y eut bien, dès 1865, dans le village, une forge. C'est celle d'un maréchal ferrant qui existe encore bien que le nombre des chevaux "physiques" soit maintenant des plus restreints dans la commune. Seuls les pépiniéristes et jardiniers-fleuristes pourront s'établir dans toutes les parties du Vésinet que bon leur semblera, sauf convention contraire, dit l'article 7 du cahier des charges du 10 mai 1863, enregistré à Saint-Germain le 20 du même mois. De cette faculté il a été largement fait usage et c'est ainsi que les bégonias, les œillets du Vésinet, entre autres, sont devenus célèbres.
Dès le printemps, lilas, amandiers, cerisiers, arbres de Judée, cognassiers, glycines égayent le bois parsemé de villas qu'est restée l'ancienne propriété royale. Puis viennent les acacias, mimosas, seringas, sureaux, rosiers. Ensuite les catalpas, les glycines pour la seconde fois et mille variétés de fleurs d'ornement à la fantaisie des amateurs, jusqu'aux superbes chrysanthèmes, gloire de l'exposition organisée par la Société d'Horticulture aux environs de la Toussaint. Les roses de Noël, jasmins, font le pont entre l'automne et le printemps; dès février s'aperçoivent violettes, perce-neige, primevères. Jamais Le Vésinet ne reste sans fleurs.

Le Lac de la Station du Pecq-VésinetM. Alphonse Pallu, fondateur du Parc, puis premier maire de la commune en 1875, et ses collaborateurs, le comte de Choulot. MM. Olive, architecte paysagiste; Petit, ingénieur des Ponts et Chaussées; Dufrayer, chef du service des Eaux de Versailles, et M. Lepant, conducteur des travaux, pourraient être fiers de leur oeuvre s'ils revenaient en ce monde.
Exemple à peu près unique dans la banlieue de Paris, à part peut-être Le Raincy ou Ville-d'Avray, Viroflay, ils avaient conçu, en effet, une cité-jardin sur le type rencontré fréquemment en Angleterre, c'est-à-dire un ensemble de villas, entourées chacune d'un parc ou d'un jardin plus ou moins grand, mais excluant toutes constructions contiguës, formant masse, sauf le cas des maisons dites jumelles. Le cahier des charges de 1863 établit des servitudes non aedificandi et des prescriptions diverses destinées à garantir " l'aspect général du Vésinet ". Ses clauses ont été très heureusement renforcées et complétées par un plan d'aménagement intervenu en 1935 grâce à la collaboration du Syndicat d'Initiative, de MM. Jarry, Président; Schiffer, Secrétaire, d'Escrivan et du Conseil municipal, représenté notamment par MM. Jonemann, rapporteur; Colombey, adjoint.
Mais pour bien comprendre la situation actuelle, il est nécessaire de jeter tout au moins un rapide coup d'oeil sur l'état de choses à l'origine, quand M. Alphonse Pallu et ses collaborateurs ont commencé leur oeuvre, il y a 80 ans.

L'ancien bois du Vésinet, qui faisait partie jadis de la forêt des Yvelines, où Ganelon aurait trahi Roland, au VIIIe siècle (778), avait été, en 1751, transformé en garenne royale. Longtemps avant l'époque où Louis XV, Louis XVI vinrent poursuivre le gibier, faucon au poing, l'abbé de Vertot, curé de Croissy, avait, sous les pins, les charmes et les chênes du Vésinet, promené ses pas, tout en méditant sa Conjuration de Portugal ou ses Révolutions de Suède.
En 1789, le Comte d'Artois, frère de Louis XVI, ayant émigré, le bois devint propriété nationale.
Le 20 Frimaire, An II, c'est-à-dire le 10 décembre 1793, il fut réparti entre les communes voisines de Croissy, Chatou, Montesson, Le Pecq. Cette dernière commune, jusqu'alors sur la rive gauche de la Seine, conquit sur la rive droite des territoires qui s'appellent aujourd'hui: le Mexique, le Canada.
Un plan, dû à Benjamin Cordier, arpenteur de la maîtrise particulière des Eaux et Forêts à Saint-Germain-en-Laye, en septembre 1772, nous montre le tracé de toutes les principales routes rectilignes en éventail depuis le Rond-Point du Pecq, ou transversales, tracé parfaitement conforme au plan actuel. Les noms sont en grande partie les mêmes, sauf pour la Route de Paris, devenue boulevard Carnot. Le Lac de Croissy et le TempleAutrefois, il y a 170 ans et même deux siècles, comme aujourd'hui, les chemins avaient nom: routes de Croissy, de Montesson, de Sartrouville, avenue du Grand-Veneur, avenue des Pages, route des Merlettes, des Courlis, allée de la Meute, route de la Faisanderie, de la Princesse (de Conti) .
Les routes tracées et exécutées (1858-1863) par la Compagnie Pallu sont les routes circulaires qui, à l'origine, ont reçu des désignations essentiellement topographiques, telles que boulevard du Midi, du Nord, de l'Est, de l'Ouest, et qui, depuis la Grande Guerre, s'appellent boulevard d'Angleterre, de Belgique, d'Italie, des Etats-Unis.
Le bois qui, vers la fin du Premier Empire, avait été rattaché au domaine de la Couronne,en relevait encore au milieu du XIXe siècle. C'est ainsi que la Compagnie du Chemin de fer de Paris à Saint-Germain, embryon de la Compagnie de l'Ouest, put, en 1834, obtenir à des conditions avantageuses la cession des terrains nécessaires à l'établissement de la voie, inaugurée en 1836; la ligne s'arrêtait d'ailleurs sur la rive droite de la Seine, les ingénieurs ayant renoncé, au début, à faire monter à la locomotive la différence de niveau de 60 mètres entre le fleuve et la Terrasse de Le Nôtre. La longueur de la voie sur le territoire du Vésinet est d'environ 1800 mètres.
Au lendemain de son avènement au trône, par suite de son mariage avec Napoléon III, l'Impératrice Eugénie eut l'idée de fonder, par symétrie en quelque sorte avec l'asile de Vincennes, destiné aux hommes, un asile où les femmes sortant des hôpitaux de Paris pourraient goûter trois semaines de repos complet au bon air, avant de reprendre la vie active en leurs demeures habituelles, souvent exiguës, peu saines.
Un domaine de 35 hectares fut, à cet effet, détaché du bois du Vésinet appartenant alors, comme nous l'avons vu, à la Couronne. Le nombre des places disponibles dans cet établissement est actuellement de 500, comme à l'origine.
Le centre de la façade principale des bâtiments coïncide avec l'axe de l'avenue de la Princesse.
C'est sans doute cette création, jointe au fonctionnement régulier de la voie ferrée rattachant désormais Saint-Lazare à Saint-Germain qui, vers 1855, attira l'attention de M. Alphonse Pallu et de ses associés. Toujours est-il que par acte passé à Paris le 20 novembre 1856, la maison de l'Empereur consentit à céder à ladite société le bois du Vésinet (436 hectares plus 49 hectares à prendre dans la forêt de Saint-Germain), contre 321 hectares destinés à relier la forêt de Saint-Germain à celle de Marly.
Un sénatus-consulte des 24-25 juin 1857 ratifia cet échange.

Aussitôt commencèrent les travaux d'aménagement, comme nous l'avons dit, sous l'impulsion de M. Alphonse Pallu et de ses collaborateurs. Ceux-ci ne perdirent pas de vue un seul instant leur idéal de conserver à ce coin de banlieue son charme rustique et sylvestre tout en le mettant à la portée des familles dont le chef avait besoin de se rendre quotidiennement à Paris. La gare actuelle du Vésinet a été ouverte en 1862. Celle dite du Pecq, dans le bois du Vésinet et qui désormais va s'appeler "Le Pecq-Le Vésinet", remonte à 1837. Dix ans plus tard elle fut installée là où elle est à présent.
Le Comte de Choulot, M. Olive ne conçurent pas seulement les routes circulaires ou semi-circulaires dont nous avons parlé. Ils firent créer cinq lacs artificiels unis par cinq kilomètres de petites rivières avec cascades et gués, le tout inspiré par le goût anglais, mais gardant cependant un caractère original et à peu près unique aux environs de Paris.
Le lac supérieur, au nord, est environ à la cote 46, tandis que l'inférieur, au sud, non loin du parc de l'Asile, correspond approximativement à la cote 29 (5 mètres au-dessus du niveau moyen de la Seine).
Cet ensemble n'alla pas, bien entendu, sans frais sérieux lors de sa création, voici plus de trois quarts de siècle, et il ne laisse pas de représenter aujourd'hui une charge positive pour la commune et pour la Compagnie concessionnaire du Service des Eaux, héritière pro-parte de la Société fondatrice qui, après la mort de M. Pallu, en 1881, devint Société d'Auteroches,
[sic] laquelle, voici une dizaine d'années, a fait place à la Société Lyonnaise.[1].
La Grande-pelouseMais, grâce à cette création, le charme de la fraîcheur et de jolis reflets ont été ajoutés à l'antique bois où les beaux arbres étaient rares, ne trouvant qu'un maigre aliment dans les terrains d'alluvions formés par l'ancien lit de la Seine au début du quaternaire, coupés çà et là d'étroites bandes de terre glaise. Aucune mare dans tout le bois, sauf une dans l'extrême nord, sur le territoire relevant déjà de la commune de Montesson. Jusqu'en 1789, le bois allait jusqu'à la Seine, où le gibier devait se rendre pour s'abreuver.
L'initiative des créateurs du Vésinet cité-jardin ne s'arrêta pas à ce réseau de routes circulaires et de petites rivières. Elle comprit aussi tout un système de terrains défrichés, transformés en pelouses et classés comme inaliénables, afin de ménager à toute époque de l'année, même quand les feuillages sont le plus épais, des échappées, des perspectives sur les gracieux coteaux des environs: Saint-Germain, Marly, Bougival, Louveciennes, La Celle-Saint-Cloud, bornant l'horizon au sud, et aux pieds desquels coule la Seine, formant boucle, de Chatou à Maisons-Laffitte. C'est ce que stipule expressément l'article 4 du cahier des charges de 1863 : De vastes coulées et pelouses destinées à transformer la forêt du Vésinet en un parc et à ménager les vues pittoresques qui l'entourent, ont été et seront encore établies successivement. MM. Pallu et Cie, tout en se réservant la propriété et la libre disposition des terrains affectés à ces coulées et pelouses, s'interdisent d'y faire aucune construction, clôture ou plantation qui aurait pour conséquence de faire obstacle au but qu'on s'est proposé en les établissant.
Je ne puis qu'engager les personnes que le sujet intéresse à recourir au cahier des charges lui-même et notamment à l'article 6. Le Vésinet mériterait une description bien plus complète et circonstanciée que celle qui vient d'être esquissée au cours des pages qui précèdent. Nous espérons que ce que nous avons dit plus haut aura suffi à faire naître chez le lecteur ou l'aimable lectrice, le désir d'aller faire une visite à la gracieuse cité-jardin, et leur donner un aperçu des conditions expliquant le comment et le pourquoi de son caractère qui frappe tout nouvel arrivant, dès les premiers pas. Une conception d'ensemble a présidé dès l'origine à l'aménagement de la cité-jardin, tout d'abord à une demi-heure environ de Paris, maintenant par trains électriques, à 20 ou 21 minutes, avec service très fréquent, pour lequel il faut rendre justice à la Direction éclairée des Chemins de fer de l'Etat.
En auto, Le Vésinet est à une demi-heure, tout au plus, de la place de l'Opéra, sauf en certaines journées d'affluence où quelque congestion se produit dans les grandes voies aux abords de la Capitale.

En 1863 fut inaugurée l'église, sous le vocable de sainte Marguerite, patronne de la fille de M. Alphonse Pallu. Cet édifice, de style gothique, dans le goût de Viollet-le-Duc, présente cette particularité d'avoir été construit, il y a plus de soixante-quinze ans, entièrement en béton non armé. Pas de bas-relief ni de statues, bien entendu. Des colonnettes en fonte renforcent les colonnes principales en béton. Les parois latérales et celles du choeur consistent, à partir du tiers de la hauteur, presque exclusivement en verrières dont l'ensemble est d'un heureux effet. L'entretien d'un tel édifice est assez délicat. L'essai, à ma connaissance, n'a pas été renouvelé. Il ne m'en a pas mieux paru mériter d'être signalé. L'abside a été bâtie en 1898-1900. Elle a été décorée, à l'intérieur,"de peintures à fresque de Maurice Denis, très intéressants débuts du maître (né à Saint-Germain-en-Laye), aujourd'hui membre de l'Institut.

Le Lac SupérieurIl y a 70 ou 80 ans, la Société Pallu mettait à la disposition des acquéreurs des lots de 1.000 à 1.500 m² en moyenne. Il arriva que de hauts fonctionnaires de la Cour des Comptes par exemple ou du Ministère des Finances, quelques diplomates, des artistes ou des chefs de grandes entreprises commerciales réunirent plusieurs lots, afin d'entourer leurs résidences de vastes jardins, parfois de véritables parcs pouvant aller jusqu'à 10.000 et même 15.000 m². Il me faut réserver pour une autre occasion un exposé même abrégé de l'évolution suivie par le caractère de la propriété foncière au Vésinet et le succès, au point de vue financier, de l'opération. Comme le lecteur l'imaginera aisément de lui-même, la vente des terrains, active pendant la première période de 1860 à 1870, subit un ralentissement assez sensible en conséquence de la guerre franco-allemande. A la fin du siècle, cependant, la Compagnie [d'Anterroches], qui avait succédé à MM. Pallu, avait vendu à peu près tous les terrains compris dans le lotissement primitif: les terrains vacants étaient marqués en rouge dans des plans spéciaux placés par la Compagnie aux principaux carrefours.
Aujourd'hui, par suite de causes qu'il n'y a pas lieu d'analyser ici, le mouvement qui s'était produit au début, groupement de plusieurs lots en propriétés plus vastes, subit une sorte de reflux. Certes, un bon nombre de beaux parcs que j'ai connus dans mon enfance subsistent encore, mais plusieurs, il faut bien le reconnaître, sont en voie de lotissement, en vertu d'une tendance générale qu'il serait vain de prétendre entraver de façon absolue.
En même temps, il convient de le proclamer hautement, interviennent les efforts conjugués de la Municipalité, du Syndicat d'Initiative pour parer au plus pressé, je veux dire aux plus prochains des risques éventuels résultant d'un morcellement excessif par lequel Le Vésinet serait exposé à n'être plus bientôt qu'un amas de cottages dans de minuscules jardinets. Ces risques, hâtons-nous de le souligner, sont positivement écartés par le plan d'aménagement adopté il y a un an et qui bientôt, il faut l'espérer, va être déclaré d'utilité publique.
Nous ne pourrions que répéter ici ce que nous avons dit plus haut du projet établi en 1934-1935.
En attendant, les autorités responsables veillent, en accord avec tous les intéressés, au meilleur entretien possible des 60 kilomètres de routes communales qui desservent le parc, outre les 30 kilomètres incombant à l'Etat et au Département.
Que le lecteur disposant d'une limousine ou d'une modeste torpédo veuille bien en faire l'épreuve en suivant par exemple les flèches indicatrices placées par les soins du Comité d'Initiative. Nous sommes certains de ne pas nous avancer de façon excessive en exprimant la conviction qu'il ne pourra qu'en retirer des impressions favorables à l'oeuvre créée voici quatre-vingts ans par M. Alphonse Pallu et ses associés, continuée par les Ledru, Drevet, de Castéran, Rouvier, Saulnier, et, dans les temps récents, par les Henri Cloppet, les Emile Aubrun et les Emile Thiébaut.

Une dernière indication statistique en terminant, pour permettre la comparaison avec celle que nous avons donnée en début: Le Vésinet compte au dernier recensement (8 mars 1936), 11.650 habitants, dont un millier d'étrangers: Anglais, Belges, Italiens, Américains du Nord, Allemands, Hongrois et même quelques Russes, Japonais, ainsi que des Roumains, des Argentins, tous vivant en bonne harmonie les uns avec les autres, goûtant mutuellement, comme nos compatriotes, l'avantage de vivre dans cette élégante cité champêtre, où ils trouvent pour leurs familles, en même temps que pour eux-mêmes, une véritable oasis de verdure et d'air pur, avec son calme, son élégance et ses fleurs, à proximité de la grande cité.

Les photographies illustrant cet article nous ont été aimablement communiquées par M. J. Schiffer, Secrétaire du Syndicat d'Initiative du Vésinet. [2]

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    Notes SHV

    [1] Ed. Clavery, Ministre plénipotentiaire, Maire-Adjoint du Vésinet.

    [2] Certaines photos de cette monographie étant inutilisables, elles ont été remplacées par d'autres du Syndicat d'Initiative de la même époque].


Société d'Histoire du Vésinet, 2009 - www.histoire-vesinet.org