D'après Georges Vigne, conservateur en chef du fonds national d'Art Contemporain [1]

La Villa Berthe dans l'œuvre d'Hector Guimard

Dans la biographie-catalogue que Georges Vigne a consacré à Hector Guimard, la Villa Berthe – à laquelle il restitue son nom d'origine, souvent remplacé par celui de Hublotière – porte le n°24 et se situe entre le Castel Béranger (n°23 dont le chantier était en cours) et le magazin Coutollau à Angers (n°25).

    Il s'agit assurément de la première véritable maison bourgeoise de Guimard mais aussi du premier ouvrage véritablement Art Nouveau de l'architecte, tant dans son agencement volumétrique que dans son décor, et fut certainement un creuset d'expérimentations destinées au Castel Béranger, alors en plein chantier. Les quelques plans que nous en connaissons se répartissent entre avril 1896 (façade arrière ; archives municipales du Vésinet) et le 28 septembre 1896. Mais la précocité de Guimard dans l'acquisition d'un nouveau langage a également rendu ses effets quelque peu timides, mises à part les étonnantes ferronneries de son couronnement, où l'influence de Horta ne pouvait pas être plus directe. L'édifice a donc dû être achevé rapidement, dans les premiers mois de l'année 1897.
    L'artiste a également dessiné une petite grotte-cascade en pierre de lave dans le jardin, et sans doute aussi le garage. À l'intérieur, il ne semble pas avoir placé d'autres éléments que ceux qui pouvaient à la fois convenir à une maison d'une certaine allure et à l'imposant immeuble populaire qui monopolisait alors toute son attention, c'est-à-dire quelques hourdis, et sans doute de la quincaillerie. Il ne fait aucun doute que Noguès [1] devait avoir un patrimoine et chercha naturellement à l'imposer dans son cadre de vie. Ceci semble avoir été un des éléments probablement déterminants pour que Guimard n'ait pas tenté au Vésinet de créer un véritable édifice d'avant-garde ; sans doute aussi la villa Berthe apparut-elle trop tôt dans sa carrière, placée dans l'ombre trop envahissante du Castel Béranger : de toute évidence, bien des aspects y sont négligés, à cause d'une précipitation due à un véritable surmenage créatif, mais aussi pour se conformer aux désirs probablement conservateurs du propriétaire. Avant d'être une maison de Guimard, la villa Berthe reste avant tout une maison du Vésinet !

Dans les années 1950, la propriété a été agrandie, la grille d'entrée déplacée et le jardin transformé. Mais, d'une manière générale, la maison peut être considérée dans un état de conservation idéalement proche de son apparence originelle.

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Que faisait Guimard alors qu'au Vésinet s'édifiait la Villa Berthe ?
le 25 avril 1896, il exposait au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts :

    456. Croquis d'architecture moderne, en Angleterre, Ecosse, Belgique et Hollande (Bourse de voyage du ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts).

    457. Projet pour l'Exposition universelle de 1900.

    458. Hôtel rue Molitor. (App. à M. Delfau)

    459. Compositions diverses pour peintures murales, étoffes imprimées (vitrail exécuté par MM. Ch. Jacques, artiste décorateur, Jolly et Sauvage, et Moyse, verrier).

Ce Salon fut l'un des plus éclectiques de Guimard, où il ne présenta véritablement qu'un seul édifice récent : l'hôtel Delfau. Selon Le Moniteur des Architectes, n°6 de 1896, le n°459 peut avoir été une décoration d'escalier, avec son décor mural et son vitrail. Le même journal s'interrogea à propos du projet de tour pour l'Exposition universelle : « Ce n'est certainement pas la pierre qui donne les plis qui surmontent les grandes portes et d'où tombent les cascades. » Sans doute pour justifier la bourse qu'il avait reçue deux ans auparavant, l'architecte exposa l'ensemble de ses aquarelles de voyage (1894-1895), aujourd'hui au musée des Arts décoratifs grâce à un don de Mme Guimard. 

le 8 mai 1896, Guimard écrit à Horta. Quelques temps auparavant, dans une précédente missive non datée, le Français demandait à son « cher maître » s'il connaissait un certain F. Boucher qui prétendait travailler chez lui. Satisfait de la réponse de Horta, Guimard se dit alors prêt à engager son « protégé ». Mais, surtout, il ajouta : « J'ai exposé cette année au Salon le résultat de mes recherches à l'étranger et comme j'ai été si heureux de vous le dire, c'est en vous que j'ai rencontré l'architecte véritable digne de ce nom et j'ai tenu à faire d'après les gravures que vous m'avez adressées les représentations de votre maison de la rue de Turin [hôtel Tassel], la façade et les deux intérieurs vues de l'escalier. Hélas, c'est à peu près la réalité, moins bien, car comme vous le savez avec moi, l'architecture ne se dessine pas elle se construit ; mais à côté des architectures voisines votre place au centre de mon panneau est l'expression de la supériorité de votre talent sur celui des autres ; tous les architectes auxquels j'ai pu montrer votre œuvre (ce qui m'a procuré le plaisir de leur dire que vous étiez le seul « Architecte » que je connaisse) rendent hommage à votre talent. » Cette lettre conservée dans les archives du musée Horta, à Bruxelles, nous assure bien que Guimard a ajouté un petit ensemble de documents destinés à présenter l'architecte belge aux Français. Mais la presse, à notre connaissance, ne semble pas en avoir parlé.

    Notes

    [1] Vigne G. et Ferré F. Hector Guimard, Editions Charles Moreau et EditionsFerré, Paris, 2003.

    [2] Un certain M. Noguès, « rentier », habitant 51, boulevard Malesherbes, à Paris fut le commanditaire de cette élégante demeure, grande de plus de 350 m² habitables.


Société d'Histoire du Vésinet, 2015- www.histoire-vesinet.org