D'après André Roche, dans la rubrique "A travers nos grandes Usines", L'Echo Automobile, 1909 [1]

La voiturette Chameroy

[...] Il ne s'agit pas ici d'une voiture ordinaire — mais extraordinaire se traduit par une simplification extrême — voyez plutôt : Cette voiture n'a ni embrayage, ni boite de vitesses, ni différentiel ; quatre roues, un châssis, une direction, un moteur, deux poulies de fonte, une courroie, une chaîne et un tendeur automatique, telle est la voiture Chameroy.
Le principe appliqué à ces voitures, quels que soient le genre de véhicule et la force du moteur, est toujours le même. Il repose sur un système de débrayage et de changement,de vitesse nouveau et breveté, qui consiste à employer une courroie plate et large et deux cônes étagés opposés à rampe ascensionnelle, avec tension automatique et réglable sans tendeur.
C'est le moteur lui-même qui, sans organes délicats, sans aucune pièce fragile ou susceptible de se dérégler, assure cette tension par un procédé tellement simple qu'il est presque enfantin.

Le moteur porte un engrenage. La poulie entraînée par lui porte une roue dentée plus grande que l'engrenage du moteur et en prise avec lui ; mais, tandis que l'engrenage du moteur est fixe, l'ensemble formé par la poulie et son engrenage est monté sur un berceau mobile particulièrement solide, et grâce à cette disposition, il peut, sans cesser d'être entraîné par l'engrenage du moteur, tourner autour de cet engrenage, subir un déplacement qu'on peut comparer à celui qui se produit sur les pédaliers des tandems et qui assure une tension de la première chaîne. La poulie avant se déplace ainsi de plusieurs centimètres d'arrière en avant, ce déplacement se fait automatiquement par l'utilisation de la poussée qui se produit normalement entre deux engrenages, quand l'un est moteur et l'autre mû. Au moment où le moteur se met en marche, il fait effort sur l'engrenage de la poulie avant qui s'éloigne de la poulie intermédiaire et la courroie est tendue. La poussée est limitée et arrêtée par la tension de la courroie qui ne patine jamais, car si elle tend à patiner, elle ne retient plus la poulie avant qui obéit à l'effort exercé sur elle par le moteur et tourne autour de l'engrenage fixe, c'est à-dire s'éloigne de la poulie intermédiaire jusqu'à ce que l'adhérence soit parfaite. Cette adhérence est telle qu'on peut caler le moteur et qu'on pourrait rompre la courroie en blocant les engrenages. Plus de soixante mille kilomètres ont été faits sur diverses voitures ainsi montées sans qu'aucun inconvénient ait été constaté (une notice plus complète sera envoyée aux personnes qui en feront la demande).

Le principe du moteur à courroie Chameroy [2]

La figure I représente la position de débrayage, c'est à-dire la courroie détendue. La figure II représente la position de marche ou d'embrayage, la courroie étant tendue.
A est l'axe du moteur muni de son engrenage B en prise avec la roue dentée C solidaire de la poulie motrice F. — D est l'axe de cette poulie ; cette poulie et son axe peuvent osciller autour de l'axe moteur A, grâce à un châssis oscillant E, extrêmement robuste et indéformable. H est l'arbre sur lequel se trouve la poulie réceptrice G ; I la courroie.
Le phénomène de la tension automatique est fort simple : l'engrenage moteur B tourne dans le sens de la flèche 1, entraîne la roue dentée C, dans le sens de la flèche 2 et par conséquent la poulie motrice F, dans le même sens soit flèche 3 ; la poulie réceptrice G est donc entraînée par la courroie dans le sens de la flèche 4.
Au moment de la marche du moteur, l'ensemble formé par la roue dentée C et la poulie F, par suite de son montage sur châssis oscillant, tend à tourner autour du point fixe que constitue l'engrenage du moteur et se déplace dans le sens de la flèche 5. Elle s'éloigne donc de la poulie arrière et de ce fait, assure la tension de la courroie.

On conçoit qu'avec ce perfectionnement, la voiture à courroie puisse se moquer de toutes critiques, mais ce système a des conséquences plus importantes encore que celles qui viennent d'être indiquées, car il permet de supprimer complètement la boite de vitesse avec ses engrenages et fait disparaître un organe important et coûteux de construction, de montage et d'entretien.
Ce procédé assure la tension automatique mais il permet en même temps d'opérer à volonté la tension ou la détention de la courroie. En effet, une pédale permet de ramener en arrière la poulie entraînée par le moteur et de la rapprocher de la poulie intermédiaire, c'est à dire de rendre la courroie entièrement lâche. Dans cette position, le moteur entraîne toujours la poulie avant, mais la courroie flotte et n'entraîne plus la voiture ; grâce à cette possibilité, on peut employer, pour faire varier les vitesses, le système si pratique des poulies étagées.

Si, dans une transmission, l'arbre portant la poulie motrice tourne à 1.500 tours et que cette poulie ait 20 centimètres de diamètre, l'arbre portant la poulie entraînée tournera à 1.500, 750 et 500 tours, suivant que la poulie réceptrice aura 20, 40 ou 60 centimètres de diamètre. Ce mode de transmission est souvent employé. Dans la pratique, on fait varier en même temps les diamètres des poulies motrices et réceptrices. Si on veut avoir trois vitesses, on s'arrange de façon à ce que la même longueur de courroie puisse servir sur les trois étages de poulies mais, en réalité, il y a toujours une petite différence et la courroie est tantôt trop lâche. tantôt trop tendue, et de plus, elle subit d'un étage à l'autre des tractions considérables qui la fatiguent.

Dans la transmission Chameroy, rien de semblable n'est à craindre, la détention facultative permet de passer d'un étage à l'autre une courroie lâche ne subissant aucun effort nuisible et la tension automatique assure sur chaque étage une adhérence parfaite. On a donc ainsi sans engrenage trois vitesses et on peut facilement en avoir six en rendant motrice à volonté l'une ou l'autre des roues. Ce système permet à la courroie de subir un allongement d'une quinzaine de centimètres sans qu'il y ait à cela le moindre inconvénient, et comme la courroie est très bien protégée par une tôle occupant tout le dessous de la voiture, on peut sortir par n'importe quel temps, sans avoir à craindre le patinage. Il faut bien se rendre compte d'ailleurs que, s'il était nécessaire de raccourcir la courroie, l'opération ne serait ni plus longue ni plus difficile que le remplacement d'une bougie.

C'est évidemment le mode de transmission qui constitue la principale originalité de notre voiture, mais elle en a d'autres.
Elle est construite en matériaux de tout premier ordre. Tous les roulements sont à billes et de qualité extra et le moulage est fait avec un soin particulier. Tous les écrous et boulons sont de même grosseur et de même type. Elle est entièrement démontable avec une simple clef anglaise, n'a pas de différentiel et I'entraînement se fait par une seule roue. Le diamètre des roues a été étudié de façon à permettre l'emploi de toutes les grosseurs de pneumatiques.
Enfin, lorsqu on aura signalé que toutes les pieces de ces voitures sont usinées avec le plus grand soin et que tous les matériaux sont de toute première qualité, les clients pourront être assurés qu'ils auront des véhicules admirablement construits et dont toutes les pièces sont absolument INTERCHANGEABLES.

On sait maintenant ce qu'est la voiture, mais on se demande que peut-elle faire ?
A cette question, la réponse est facile. La voiture Chameroy peut faire tout ce que fait une voiture de même force et même poids, mais elle le fait plus facilement et plus économiquement. Tout cela, c'est le catalogue qui le dit. Il est probable que comme tous les catalogues, sans être du Midi, il exagère un peu — cependant l'idée est séduisante et certes plus d'un esprit clairvoyant a prédit à la courroie un brillant avenir — sans aller si loin, il n'est pas un mécanicien, un automobiliste ayant pratiqué les voitures d'autrefois, qui ne soit prêt à reconnaître que rien ne vaut la courroie comme moyen de transmission, quand elle est tendue à point et que seules les difficultés qu'il y avait à vaincre pour assurer la tension ont été cause de son abandon. Ces difficultés semblent être réduites à néant par le système Chameroy.

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    Notes et sources:

    [1] La SHV remercie M. Mario Montanaro, expert en automobiles de collection, qui lui a communiqué cet article et divers autres informations sur la Voiturette Chameroy.

    [2] Schéma aussi présenté dans "Le Génie Civil", 30 janvier 1909.


Société d'Histoire du Vésinet, 2018- www.histoire-vesinet.org