Plus d'un siècle après l'évènement,
des ressentiments existent encore dans les communes avoisinantes
et transparaissent ... dans les travaux de leurs historiens
!

FAUT-il ANNEXER UNE PARTIE DE CHATOU ?
Bernard Petit
Impressions de Croissy, n°5, Mars 1997
 

Rassurez-vous, il ne s'agit pas d'une déclaration de guerre à nos amis catoviens, mais des paroles historiques de M. Nicolas Marquet maire de Croissy de 1861 à 1875, prononcées lors de la délibération du 27 juillet 1873 (date de la création d'une Commission comprenant Jules Colombier et Charles Bonnet). Et tout ceci... à cause du Vésinet...
Notre propos n'est pas de retracer l'histoire du Vésinet dans son intégralité mais de souligner les anomalies territoriales qu'a entraînées cette création. Les bois dits du Vésinet' ont toujours été du domaine du pouvoir. En 1856, ils sont donc impériaux. Contrairement aux précédents souverains, Napoleon III ne vient jamais y chasser. Son demi-frère, Auguste de Morny, brillant affairiste, flaire une intéressante combinaison : proposer à l'Empereur l'échange des bois de Saint-Cucufa et de Fausses-Reposes (de la Celle-St-Cloud) contre les bois sans intérêt du Vésinet. Les premiers appartiennent à un banquier Henri Place, en difficulté et lié à Morny. Celui-ci fait venir d'Auvergne un ami, Alphonse Pallu alors maire de Pontgibaud. Se constitue la Société Pallu où on retrouve les deux comparses et le banquier Ernest André.

QUE SONT CES BOIS DU VÉSINET ?

436 hectares répartis sur trois communes : Croissy, Le Pecq et Chatou : la majeure partie appartenant à cette dernière.
Croissy possède les terrains situés à l'ouest de l'actuelle Route de Croissy et au sud de la Route de la Cascade englobant l'Asile de convalescence, actuellement hôpital, alors en construction. Le décret municipal du 10 octobre 1856 officialise l'échange; le but est de créer un quartier résidentiel boisé, une ville-parc susceptible de devenir indépendante. Les travaux sont confiés au comte de Choulot qui va mener à bien ce projet et dont on peut encore admirer la réalisation.
A cette époque, le chemin de fer traverse de toute sa longueur les bois, les séparant en deux parties égales. Deux stations desservent ce lieu: les gares de Chatou-Croissy et du Pecq. Les propriétaires et les locataires du nouveau quartier bénéficieront de la gratuité jusqu'à la fin 1861. Dans le prospectus promouvant la vente des lots résidentiels, il est spécifié "que les besoins religieux et commerciaux trouveront satisfaction dans les communes avoisinantes : Croissy au sud, Montesson au nord, et Le Pecq à l'ouest". Chatou n'est pas cité et voit de plus en plus d'un mauvais œil, le projet qui, non seulement va l'amputer, et aussi lui soustraire de la clientèle "spirituelle, commerciale et financière". Chatou voit clairement poindre l'indépendance d'une grande partie de ses territoires. Les catoviens n'ont pas tort, le projet va bon train. Le 30 juillet 1859, Leurs Majestés Impériales se rendent au parc du Vésinet, et se promènent à pied autour du lac de la Station (actuellement les Ibis); et le 2 juillet 1864, l'architecte Boileau, émule de Baltard, termine l'église du Vésinet de conception révolutionnaire, telle St-Eugène à Paris, construite quelques années avant.
Dès 1867, la moitié des lots sont acquis. Le 23 août, est instituée "l'union des propriétaires du Vésinet" prémices d'un pouvoir local. Un an après, naît "La gazette du Vésinet" journal indépendantiste. Le maire de Chatou exige le changement de titre en imposant "Gazette du hameau du Vésinet, organe de la commune de Chatou" ! Comme dans tous les litiges, le Vésinet gagne: il semble qu'il y ait eu des interventions en haut lieu !
Pourtant le territoire est toujours divisé entre les trois communes, tout en s'administrant lui-même. Les Vésigondins paient leurs impôts auxdites communes, lesquelles freinent leurs prérogatives telles l'éclairage et la police. L'enquête de 1869 va mettre le feu aux poudres: les 675 hommes du Vésinet, représentant 2 000 habitants votent à l'unanimité pour l'érection en commune. La guerre franco-prussienne va interrompre les querelles. La boucle est isolée, l'armée française a détruit tous les ponts, routiers et ferrés. En 1872, les «hostilités» locales vont reprendre à l'initiative de Chatou, décidée à ne rien perdre ni de son territoire ni de son pouvoir. Elle va proposer une solution dominatrice : annexer les parties situées sur Croissy et Le Pecq et restituer l'unité à son profit. Le conseil d'arrondissement fait sienne cette proposition, tout en demandant des compensations aux communes lésées. Enfin, la municipalité de Croissy va réagir. Elle approuve la résolution de la Commission refusant l'érection du Vésinet en commune, acceptant les annexions de Chatou sous compensations territoriales suivantes: Le territoire de Croissy doit être prolongé au nord jusqu'à la ligne de chemin de fer et à l'ouest par venue de la Princesse, tout en conservant les terres situées entre le sud du Vésinet et la Seine jusqu'à la commune du Pecq. Ce sont les clauses d'une autre délibération le 27 novembre 1873 pourtant défavorable à Croissy qui perd ainsi de nombreux hectares. Cette revendication peut paraître "insolente". Aussi, les élus croissillons argumentent : la voie ferrée est la véritable limite entre Chatou et Croissy quasi continuelle et dangereuse. La grande partie des catoviens de ce côté de la voie font leurs courses à Croissy, vont à la messe à Croissy et aimeraient envoyer leurs enfants aux écoles de Croissy Le rapport explicite notamment le problème de l'avenue des Tilleuls, une des plus magnifiques du bord de Seine, soulevé pour son entretien, sa numérotation...
En ce qui concerne le bord de Seine, la municipalité tient à conserver les terrains. Actuellement les plus rentables sur le plan maraîcher, ils correspondent au quart de la commune. Mais elle y voit aussi un avenir prometteur par suite du projet
(*) d'un pont devant rejoindre Port-Marly qui apportera une urbanisation dans ce site magnifique face aux collines de Louveciennes. Enquêtes et contre-enquêtes conduisent à un changement d'avis des Conseils d'arrondissement et général. Le Conseil d'Etat, puis l'Assemblée Nationale votèrent pour l'érection en commune du Vésinet. Le 31 mai 1875, le Maréchal de Mac Mahon, président de la République, proclamera la naissance de la nouvelle commune, aux dépens des communes-mères.
L'affaire n'est pas close. Les Vésigondins ne manquent pas de souffle et ... de soutien politique... Ils réclament officiellement à Croissy, des dédommagements !
Que leur soient reversés les impôts perçus par Croissy depuis 1868 sur les propriétaires et locataires du Vésinet, prétextant que cette date correspond à la création officieuse de leur commune ! Que leur soit versé un droit sur les rentes et immeubles de la Commune-mère dont elle s'est séparée, s'appuyant sur une loi de 1837 qui stipule : "une section de commune érigée en commune distincte peut emporter les biens qui lui appartiennent privativement".
En fait, c'est le legs du marquis d'Aligre qui les intéresse. Le bienfaiteur de Croissy est décédé le 11 mai 1847, le legs n'a été réglé qu'en 1851: or à ces dates le Vésinet est un bois du domaine national et il n'existe aucun Vésigondin ! Deux assesseurs municipaux vont répondre à ces revendications: Charles Bonnet et l'illustre dramaturge Emile Augier. De ce mémoire, deux passages méritent d'être cités: "Le Vésinet a pour origine, un syndicat qui a spolié les communes-mères, à entendre ses dires, on leur devrait la découverte de Chatou, du Pecq et de Croissy et ce serait à ses capitaux que ces trois communes devraient leur postérité». «Nous avons depuis vingt ans agi en bons pères de famille soucieux de l'avenir et désireux de bien faire pour être aussi la commune la mieux gérée de l'arrondissement et nous ne devons rien à personne". L'administration supérieure déboutera les provocations vésigondines.
L'historien n'a pas à commenter les revendications de l'équipe municipale de 1873, ni les décisions de l'administration. Il ne peut simplement que déplorer que la logique ne fasse pas loi.

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(*) Ce projet ne sera jamais réalisé. Il aurait pu désenclaver la boucle et faciliter la circulation. Il est resté à l'état de commission créée le 30 mai 1870, où siégeait M. Marquet, maire de Croissy.

 


Société d'Histoire du Vésinet - www.histoire-vesinet.org