Les premières décorations de l'église Sainte-Marguerite
Dès sa consécration en juillet
1865, avant la réalisation des principaux vitraux, et bien avant
les chefs
d'œuvre de Maurice Denis, l'église Ste Marguerite
fut décorée de différentes peintures dont la plupart ont été
inventoriées (Base Palissy, Ministère de
la Culture). Outre celles apportées par le premier curé, l'abbé
Maret, on relèvera la présence de deux très grandes toiles qui,
durant près d'un siècle demeurèrent de part et d'autre de
l'entrée principale, sous la tribune des orgues. Elles
furent décrochées en 1968 à l'occasion de la transformation du
décor de l'église et entreposées sans grand ménagement dans la
crypte. [1]
Sainte Marguerite,
patronne de l'Eglise du Vésinet, tenant dans sa main
gauche la palme du martyr.
Huile sur toile, un seul
lé, grain très large, toile fixée au châssis par des
clous. Châssis à deux traverses. dimensions : 373 cm x
149 cm Etat de conservation médiocre. Toile détendue,
fendue, en décomposition dans sa partie inférieure,
couche picturale usée, préparation du fond
inexistante.
Référence Palissy
IM78001971.
Saint Henri de Hongrie.
Huile sur toile, un seul
lé, grain très large, toile fixée au châssis par des
clous. Châssis à deux traverses. dimensions : 373 cm x
149 cm Etat de conservation médiocre. Toile détendue,
fendue dans sa partie inférieure, couche picturale
usée.
Référence Palissy IM78001970.
On sait que le premier tableau,
signé Claire Giard, fut offert par cette dernière à l'occasion
de la consécration de l'église, le 2 juillet 1865. On ignore la
provenance du second. Pourtant, l'examen de leurs descriptions
plaide en faveur d'une même origine : toile identique en
matière comme en dimension, celle-ci plutôt inhabituelle.
Châssis semblable.
Si le premier tableau s'avère parfaitement approprié puisqu'il
représente la patronne de la nouvelle église, la seconde toile
pose davantage de questions. [2]
En premier lieu, pourquoi ce nom de Saint Henri de Hongrie,
dénomination plutôt insolite ? Tout indique qu'il
s'agit de Saint Henri, empereur d'Allemagne de 1002 à 1024,
debout, tenant l'épée et le globe, insignes de sa charge. La
mention Sanctus Henricius Imperator permet de lever le
moindre doute.
Henri II le Saint, empereur d'Allemagne, le dernier de la
dynastie saxonne, né en 972, était le fils du duc de Bavière
Henri le Querelleur. Après la mort de son cousin, Othon III, qui
n'avait point laissé de descendance, il parvint à se faire élire
empereur en 1002. Il soumit Hermann, duc de Souabe, son
compétiteur, contraignit à l'hommage la Thuringe, la Lorraine et
la Saxe, chassa le roi de Pologne, Boleslas III, de la Bohême,
et donna ce pays à Jasomir de Bavière. Il érigea la Hongrie en
royaume [d'où peut-être le
nom], et descendit trois fois en Italie
pour combattre Arduin, marquis d'Ivrée, qui s'était fait
proclamer roi par les Lombards. Couronné empereur par le pape
Benoît VIII, à Rome en 1014, il jura, en échange, une fidélité
inviolable au Saint-Siège, préparant ainsi des luttes terribles
entre Rome et l'Empire au sujet de la suprématie.
C'était un prince très pieux, ainsi que sa femme Cunégonde, et
tous deux furent canonisés.
Armoiries de la paroisse
Sur le fond de la toile, à
droite, l'église Sainte Marguerite du Vésinet est peinte
sommairement. Elle a pu être ajoutée simplement pour
justifier le don de la toile originellement destinée à
un autre emploi. La différence de proportion entre les
deux personnages exclut qu'ils aient été prévus
initialement pour faire pendant.
En haut à gauche un écu
d'or à l'arbre de sinople, au chef d'azur cartonné à
dextre et à senestre de deux marguerites....Le
tout posé sur une Aigle bicéphale portant la devise ROBUR
ET VENUSTAS (force et beauté). Cet emblème, celui
d'Henri-le-Saint, évoque irrésistiblement celui qui sera
proposé plus tard comme les premières armoiries du
Vésinet (à gauche).
L'arbre deviendra un chêne
(robur), les deux marguerites et les couleurs
seront conservées.
Claire Giard, née Couverchel ou
son frèreAlfred
Couverchel (1834-1867) qui se promettait d'offrir un
Saint Louis à Cheval à l'église et qui n'a peut-être pas
trouvé le temps de l'achever, seraient-ils à l'origine de ces
mystérieuses armoiries ? Alfred était un héraldiste
amateur. On raconte qu'il peignit lui-même les armes de l'évêque
de Basse-Terre, "azur à la croix ancrée d'argent contournée
de quatre étoiles", sur la porte du Presbytèreen
l'honneur de Monseigneur Boutonnet (évêque de Basse-Terre) qui
séjournait alors au Vésinet. Un ouragan avait ravagé la
Guadeloupe le 6 septembre 1865 et le prélat sillonnait la France
en quête de fonds. Une grand-messe fut célébrée à Ste Marguerite
le 15 novembre en faveur des sinistrés. [3]
Dans une brochure publiée en 1877,
on trouve un inventaire sommaire des œuvres qui décoraient alors
l'église Ste Marguerite : « On y remarque quelques
bons tableaux, notamment une Sainte Famille peinte sur bois,
un autel en onyx, une chaire à prêcher, de style gothique,
ornée d'onyx, des vitraux dont plusieurs sont des
chefs-d'œuvre sortis de la maison Lobin, de Tours, entre
autres une Sainte Marguerite, copie du Guerchin, un Saint Léon
le Grand, une Immaculée Conception, Saint Jean Baptiste, Saint
Joseph, Saint Etienne, Saint François de Sales, Saint Alphonse
de Liguori, etc., et des peintures à fresque qui produisent le
plus gracieux effet, et qui présentent à la porte d'entrée les
écussons des six évêques de Versailles et ceux de la famille
Pallu des Rotours et du curé fondateur, prélat de la maison du
Pape. » [4]
On peut penser que les décors en onyx de l'autel et de la chaire
provenaient des ateliers de la Société Pallu & Cie des
marbres onyx d'Algérie. Ils n'ont malheureusement pas été
conservés.
Statue de Saint Joseph
Un article dans L’Industriel de
Saint-Germain-en-Laye daté du 21 avril 1866 nous
apprend l'origine de cette petite statue de Saint
Joseph.
La nouvelle et intéressante paroisse du
Vésinet, se complète peu à peu, grâce à la générosité
et au zèle des nombreux paroissiens de la localité. On
nous annonce pour demain dimanche 22 avril, à
l’occasion de la fête du Patronage de Saint-Joseph, la
bénédiction d’une statue de ce saint, véritable œuvre
d’art sortant des ateliers de M. Froc-Robert sculpteur
à Paris, rue Bonaparte. [5]
C’est à l’initiative d’une pieuse famille du
Vésinet, qu’est due cette cérémonie; cette famille a
voulu contribuer pour sa part à l'ornementation de
l’église en offrant une image d'un saint protecteur et
patron.
La cérémonie de bénédiction, selon le rite
romain, aura lieu avant la messe paroissiale, à dix
heures.
On inaugurera également à la même heure, un
orgue d’accompagnement que l'organiste de la paroisse,
M. Mansion fils, voudra bien céder ce jour-là au
célèbre Th. Nisard, dont le nom seul signifie harmonie
religieuse. Cet orgue-harmonium de quatre jeux
puissants, a été fourni par la maison Baudet, rue
Neuve-Popincourt; plusieurs artistes musiciens se sont
donné rendez-vous demain au Vésinet, pour assister à
cette double cérémonie, et entendre l'habile maestro,
à qui les plus illustres compositeurs ont dédié leurs
œuvres musicales.
Quant à la Sainte Famille
peinte sur bois, elle fut inventoriée en 1986 (Base Palissy)
et une description sommaire fut ainsi
rédigée : Un panneau de bois formé de 2 planches de
146 x 103 cm. La peinture représente "La Vierge
assise, une fleur dans la main droite, tourne la tête vers le
ciel. Debout, l'enfant Jésus tend sa main vers elle mais
regarde vers la droite. A droite, Sainte Anne et un vase de
fleurs".
L'origine de l'œuvre était définie de façon incertaine : le
curé Maret « camérier du Pape, évêque de Sura » [6]
aurait pu la rapporter de Rome. La nature du support, la qualité
picturale et esthétique de l'œuvre la situeraient « dans
l'ambiance florentine du XVIe siècle ». Une note
de synthèse complète la fiche d'inventaire :
Vierge, enfant Jésus,
sainte Anne.
La composition est
marquée par deux obliques allant l'une de la main de
la Vierge au pied de l'enfant, passant par le drapé et
le bras de Jésus, l' autre donnée par les deux regards
de la Vierge et de l'enfant entre lesquels se trouve
le bras de la Vierge. Ces obliques sont calées par la
ligne droite donnée par le corps de l'enfant et
poursuivi par le drapé de sainte Anne.
Attitudes contournées,
divergence des regards, contrastes appuyés des jeux
d'ombres et de lumières font de ce tableau une œuvre
maniériste. Cependant, les rapprochements entre cette
œuvre et la Sainte Agnès d'Andréa del Sarto (Duomo de
Pise) nous prouve que nous n'avons pas une composition
novatrice mais une reprise exacte du modèle de la
sainte pour la Vierge, cette dernière tient une fleur
à la place de la palme de martyr, à ses côtés l'enfant
remplace le mouton.
Doit-on voir dans le
tableau du Vésinet un pastiche à la manière d'Andrea
del Sarto [7] qui aurait été exécuté durant
la lère moitié du XIXe siècle peut- être en ltalie, ou
bien une œuvre contemporaine ?
En ce cas, nous
attribuerions l'œuvre à l'école d'Andrea del Sarto.
Référence Palissy, IM78001975
Le tableau avait été relégué dans
la crypte puis dans un local municipal après la transformation
des décorations de l'église répondant aux critères instaurés par
le Concile Vatican II (1968). En 2014, à l'occasion des travaux
de restauration de l'église, il fut réexaminé et sa restauration
fut entreprise. [8]
« C'est un tableau atypique inspiré de deux œuvres
différentes peintes dans le Nord et le Sud de l'Europe. L'une
représentait sainte Anne et l'autre sainte Agnès regardant une
lumière. De ce fait, la Vierge regarde au loin alors que les
codes de l'époque auraient voulu qu'elle fixe l'enfant
Jésus » explique Cécile Garguelle-Hébert [9],
conservateur délégué des antiquités et objets d'art des
Yvelines, qui a supervisé la restauration. « Cette toile
est liée à l'histoire du Vésinet et à la construction de cette
église. Elle a une forte valeur patrirnoniale. » Elle a retrouvé désormais sa place dans le décor de
l'église Ste Marguerite.
****
Notes
et sources :
[1]
On a dû renoncer à sauver ces grandes toiles qui étaient
trop détériorées lorsqu'un nouvel inventaire fut dressé en
2014.
[2]
Les recherches menées à l'occasion du 150e anniversaire de
l'église et pour la préparation du livre ont établi que
cette toile fut offerte par D'Escrivan (elle serait due à J.
Gatti).
[3]
L'Industriel de St-Germain, du 18 novembre 1865. La quête
rapporta près de 200 frs.
[4]
Charles Maillard de Broys, Édouard de Naurois, sa vie et
ses oeuvres. Le Vésinet. Auteuil. Paris, 1877.
[5]
La maison connue sous le nom de Froc-Robert a été
fondée en 1855 par Claude François Besand, architecte
jurassien, au 41 puis au 38 rue Bonaparte, à Paris, jusqu’en
1903, date à laquelle elle cessa son activité. La maison Froc-Robert
acquit une grande réputation et fut l’un des
principaux concurrents de la maison Raffl. Cependant, les
lois anticléricales qui se succédèrent au tournant du XXe
siècle portèrent un coup fatal à l’entreprise, lui faisant
perdre une grande partie de sa clientèle. Elle fut alors
contrainte de mettre la clé sous la porte. Cette statue ne
figure pas dans l'inventaire de 1986.
[6]
Une fois de plus Léon Maret est confondu avec son homonyme
Henri Louis Charles Maret [1805-1884] un prélat et
théologien éminent, évèque in partibus de Sura.
[7]
Andréa
del Sarto (1486-1530), peintre florentin de la Haute
Renaissance.
[8]
L'analyse des pigments a permis de dater le tableau de la
fin du XVIe siècle. Les archives paroissiales ont permis
d'établir qu'il fut offert à la nouvelle paroisse en 1865
par Paul Edouard Taconnet, propriétaire de Wood Cottage.
[9]
Courrier des Yvelines, 3 février 2016.
Société d'Histoire du
Vésinet, 2007 - 2016 •www.histoire-vesinet.org