Alain-Marie Foy - Echos du passé, Bulletin Municipal n°29, 1974

Lorsqu'on se battait en duel au Vésinet

Au siècle dernier, les bois et les clairières du Vésinet étaient des lieux de rendez-vous particulièrement appréciés des hommes désireux de vider leurs querelles d'honneur. Quelques échos de ces duels sont parvenus jusqu'à nous.

En 1868, M. Paul de CASSAGNAC fut condamné par la sixième chambre du tribunal correctionnel de la Seine à six jours de prison et 200F d'amende (700F actuels environ) à la suite de son duel victorieux avec M. LISSAGARAY. Les quatre témoins furent condamnés à 50F d'amende chacun. La victime, elle, se contentait de soigner ses blessures...
Le 21 novembre de la même année, se déroulèrent les obsèques de ROSSINI à l'église de la Trinité à Paris. Un journaliste du Figaro, Gaston de COETLOGON, eut une altercation avec un soldat du service d'ordre et frappa son sous-lieutenant, CHARPENTIER, qui voulait le faire arrêter. "Une rencontre était devenue nécessaire" indique la presse locale (La Gazette du Vésinet).
Le duel eut lieu "dans une allée des bois, sur la rive gauche du chemin de fer", au fleuret démoucheté. M. de COETLOGON toucha le premier, le coup transperça le biceps et effleura la poitrine, et l'on se réconcilia. Le vainqueur fut condamné à un mois de prison (certes pour coups et blessures, mais aussi pour voies de fait et violences exercées sur un citoyen chargé d'un service public) et 200F d'amende, tandis que les témoins furent condamnés à 50 F d'amende.

Au mois d'août 1869, on retrouva Paul de CASSAGNAC victorieux d'un duel avec M. FLOURENS, dans l'enceinte du champ de courses (grande pelouse des Ibis) à cinq heures du soir.
Le combat avait mis en alerte toutes les brigades de gendarmerie du canton, dès trois heures du matin dans les bois du Vésinet, l'île de Croissy et les environs de Saint-Germain. Le duel put durer cependant vingt-cinq minutes. FLOURENS reçut deux blessures légères au cou et à la ceinture, et deux plus graves, à l'épaule et sur le sein droit, cette dernière provoquant l'évanouissement du blessé. Les deux adversaires, nous dit-on, "ont fait preuve d'une très grande énergie".

En novembre 1869, un duel à l'épée opposa deux Espagnols, MM. Ramon de ERAZU, propriétaire à Paris, et Angel de MIRANDA qui se refusait à rectifier un article publié dans Le Gaulois, accusant le frère de M. de ERAZU d'avoir quitté la France en laissant des dettes "et pour cent mille francs environ de billets échus et protestés".
MIRANDA fut légèrement blessé à l'épaule et à la cuisse. Mais l'affaire n'en resta pas là : le tribunal correctionnel de Versailles condamna, en janvier 1870, le vainqueur et ses témoins, tous deux Espagnols également, à 200 F d'amende chacun. En revanche, quinze jours de prison furent infligés aux témoins de MIRANDA, Frédéric Sanchez BEDOYA, capitaine d'artillerie de l'armée espagnole, et Aureliano de LOPATEGUI, secrétaire d'un duc d'Espagne.
La reine d'Espagne fit alors intervenir son ambassadeur en France, mais le Garde des Sceaux, Emile OLLIVIER, refusa la grâce. Les deux témoins se fondant sur l'iniquité du jugement, faisaient valoir que, possédant mal la langue française, ils n'avaient pu présenter clairement leur défense.
Peu après, en avril 1870, l'ambassadeur sollicita directement Napoléon 111, qui accorda la grâce refusée par son Ministre de la Justice et des Cultes. Ce dernier n'eut plus, alors, qu'à commuer la peine en 500 F d'amende pour chacun.

Les duels au Vésinet devaient être chose bien connue puisqu'une pièce de théâtre, Le bois du Vésinet, comédie-vaudeville en un acte fut écrite par un certain DELACOUR et fut représentée pour la première fois au Théâtre des Variétés le 28 décembre 1875. La pièce évoque les suites sentimentales et burlesques d'un duel. La victime s'est fait héberger par un marchand de laine parvenu et au naturel borné. Sa femme, une ancienne marchande de tabac, ne laisse pas indifférent le héros malheureux, qui feindra un profond affaiblissement pour profiter le plus longtemps possible des délices vésigondines. Nous ne savons pas si la pièce eut un quelconque succès, il faut espérer que non, tant elle est insignifiante.

Maupassant, dans Bel ami, roman écrit en 1885, fait le récit d'un duel au pistolet, un matin d'hiver où régnait un froid de Sibérie" Laissons Maupassant nous peindre le paysage : "C'était une de ces rudes matinées d'hiver où toute la nature est luisante, cassante et dure comme du cristal. Les arbres, vêtus de givre, semblent avoir sué de la glace ; la terre sonne sous les pas; l'air sec porte au loin les moindres bruits: le ciel bleu paraît brillant à la façon des miroirs et le soleil passe dans l'espace, éclatant et froid lui-même, jetant sur la création gelée des rayons qui n'échauffent rien. "Chacun des adversaires tira une fois sans provoquer de blessure et l'on en resta là. Dans les années 1880 enfin, il arriva qu'Henry Bauër, critique dramatique, fils naturel d'Alexandre Dumas et père de l'écrivain et critique Gérard Bauër, se batte en duel dans sa propriété du 6, rue des Bouleaux.

De nos jours, on se contente de pratiquer pacifiquement l'escrime au stade des Merlettes et le tir au stand du chemin du Tour-des-Bois...


Société d'Histoire du Vésinet, 2003 - www.histoire-vesinet.org