D'après H. Fierens-Gevaert pour la revue Durendal : revue catholique d'art et de littérature (Bruxelles) 1904. [1]

Maurice Denis au Vésinet

C'était l'automne dernier, un dimanche après-midi. En arrivant dans la petite ville de banlieue, il pleuvait!
Ah! les tristes rues boueuses du Vésinet avec leurs blanches maisons d'été ! Je me rendis tout droit à l'église. Elle prolongeait la mélancolie des choses avec ses pauvres piliers de fonte, ses vitraux aux figures pavoisées de rouge et de bleu, l'ombre sans vie de la nef.
Je demandai les peintures de Maurice Denis. « Derrière le chœur, à droite et à gauche. »
Je commençai par la gauche.

L'atmosphère et les murs soudain changèrent autour de moi. Dans la chapelle de la Vierge je fus accueilli par un ciel blanc et des ombres roses, dont je ne puis dire si on les vit jamais, mais que nous avons tous imaginés dans nos songes. Sur la voûte, Marie, blanche de sa gloire immaculée, lève les bras et monte immatérielle, défaillante, le corps à moitié perdu dans l'enroulement virginal de son suaire. Les anges l'auréolent de fleurs et de cantiques. Le philactère de Gabriel déroule la salutation mystique : « Ave gratia plena. » Sur la voûte printanière, des guirlandes de lilas et de roses s'attachent aux nervures, et voici des vitraux avec l'Annonciation, la Visitation, Jésus retrouvé au Temple...

Maurice Denis – Chapelle de la Vierge.

... Marie, blanche de sa gloire immaculée, lève les bras et monte immatérielle ...[2]

Un déambulatoire contourne le chœur ; des rosiers, des glycines, des pâquerettes semées sur champ d'or, transfigurent les petits piliers aussi tristes jadis que ceux de la nef.

Cette allée florale mène à l'autre chapelle : celle du Sacré-Cœur. Une atmosphère de flammes tendres nous y enveloppe. Jésus est debout au centre de la voûte, la tête inclinée par l'infinie miséricorde, les bras ouverts ; son Cœur, visible, rayonne dans sa poitrine comme le soleil de toutes choses, et à travers cette lumière répandue jusqu'aux confins du monde, les séraphins accourent, battant de leurs ailes triomphales les nuages pleins de lueurs rouges, violacées, oranges, — lueurs de joie, de victoire, de sacrifice, où surgissent en masses lointaines les grandes basiliques de France... Et trois vitraux, ici encore, montrent Jésus guérissant les malades, Jésus pardonnant à la pécheresse, Jésus distribuant l'Eucharistie. D'autres scènes remplissent des tympans; des figurations symboliques animent les consoles; et partout, dans les cadres, sur les nervures, des rosiers saignent sur de l'or...

Maurice Denis – Chapelle du Sacré-Cœur.

... des séraphins accourent, battant de leurs ailes triomphales les nuages pleins de lueurs rouges, violacées, oranges ...[2]

Comment dire ici, en quelques lignes, les vertus expressives et décoratives de cette œuvre! Elles sont excellemment énumérées dans la belle brochure : Maurice Denis au Vésinet, où le vaste et vivant esprit qu'est Adrien Mithouard et le critique fervent qu'est M. l'abbé Desfossés, ont commenté avec un lyrisme précis cette œuvre de piété et de beauté. Les auteurs y ont caractérisé « ces mystiques et discrètes images », ils ont indiqué comment elles respectent les lignes architecturales pour mieux les embellir, et comment la couleur de Denis, laiteuse, pure, si naturellement murale, s'est associée à merveille aux petites voûtes du Vésinet.
C'est en lisant ces jours-ci cette publication, en admirant les beaux bois de MM. Tony et Jacques Bertrand : Le Sacré-Cœur et L'Assomption de la Vierge, qui l'illustrent, — que j'ai retrouvé mes émotions de l'automne dernier.

Après un pèlerinage aux claires cellules de Saint-Marc, on peut désormais contempler une œuvre religieuse contemporaine dans les chapelles en fête de la pauvre église du Vésinet.

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    Notes et sources:

    [1] Hippolyte Fierens-Gevaert (1870-1926). Historien de l'art, philosophe, critique d'art, chanteur et écrivain belge. Il fut le premier conservateur en chef des Musées royaux des beaux-arts de Belgique.

    [2] Les illustrations sont des photographies prises avant le sinistre du 26 juillet 2009 qui a gravement endommagé les peintures, en particulier celles de la chapelle du Sacré-Coeur qui n'a pu être complètement restaurée.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2020 • www.histoire-vesinet.org