Histoire du Vésinet > Le Vésinet au Quotidien > La Libération

Le Vésinet rend hommage à Médéric (1944)

En novembre 1944, la Ville du Vésinet donnait le nom de Médéric à l'allée du Tapis-Vert, la portion de l'ancienne Route Royale entre le lac de la Station et la Place de la République. Une cérémonie avec prise d'arme, décorations tricolores, participation des troupes alliées présentes, accompagna la pose de plaques. Il s'agissait de faire suite à la décision du conseil municipal du 13 octobre 1944 d'honorer la mémoire d'un héros de la Résistance : Gilbert Védy. [1]
On se souvient que par arrêté préfectoral du 1er octobre 1944, après la destitution et l'arrestation de Georges Dessoudeix (maire désigné en 1941 par le gouvernement de Vichy) la fonction de maire est confiée à Max Boisville, membre du Mouvement de Libération Nationale et du Comité de Libération du Vésinet. Il restera en fonction jusqu'aux élections de mai 1945, avec le conseil municipal élu en 1935 et remanié de façon autoritaire en 1941.

Cérémonie en hommage à Médéric (Gilbert Védy)

héros de la Résistance mort pour la France (nov. 1944)

 

... Une modeste plaque de bois peint ...

Qui était Médéric ?

Complètement inconnue des Vésigondins et de la plupart des Français d'alors puisqu'il avait agi durant l'Occupation dans la clandestinité, la personnalité de Gilbert Védy acquit un peu de renommée en avril 1945, lors du procès de membres des Brigades Spéciales, éléments de la police française au service de l'occupant dont Védy fut une des victimes. Lors de ce procès, l'épisode de l'arrestation et de la mort de Médéric fut au centre des débats. Le récit ci-dessous est tiré du compte-rendu du procès du commissaire Fernand David, un des principaux inculpés.

    Le 21 mars 1944, au cours d'une perquisition effectuée par le commissaire de police du quartier des Grandes Carrières (18e arrondissement), au domicile de Madame Renée Fanti, 57 rue de la Chaussée d'Antin, celui-ci se trouve en présence d'un individu (Védy) qui déclare se nommer « Marlier Jacques », se disant industriel domicilié à Gouessenou (Finistère). Arrêté, il est remis entre les mains des inspecteurs de la brigade spéciale qui l'identifient comme étant Gilbert Védy.

    Le commissaire David [2] entreprend alors de l'interroger sur ses agissements :

      – C'est alors que le pseudo-Marlier m'a déclaré « Je suis fait, il me reste à payer ». Je lui ai dit : A payer quoi ? Il m'a répondu « Vous le savez aussi bien que moi ». Puis il a reconnu, au cours d'un interrogatoire sommaire qui présentait plutôt le caractère d'une conversation, être l'un des membres les plus importants de l'organisation gaulliste en France. Il me déclara également qu'il faisait partie d'un Comité consultatif d'Alger, et qu'il se déplaçait fréquemment entre la France, Londres et Alger. Il ajouta d'un air désabusé : « C'est lamentable pour un homme comme moi de s'être fait prendre aussi bêtement ». A quoi j'acquiesçai en lui disant notamment que policièrement, l'opération n'était pas une splendeur, mais que le hasard aidait bien souvent les policiers. J'ai alors enchaîné en lui disant: Nous avons mal commencé, mais j'espère que nous continuerons mieux et que vous voudrez bien nous donner des explications sur votre activité en France. J'ai ajouté : Vous avez à vous reprocher certains faits graves, au nombre desquels figure le meurtre de l'étudiant Goron. Le pseudo Marlier me déclara alors : « C'est exact, c'est bien moi Védy, alias Médéric, qui ai organisé le coup contre Goron. Cela fait d'ailleurs une belle fripouille de moins ». Je lui ai dit : alors il va falloir que nous parlions de cela plus en détail. Il a répondu « Je pense que nous n'aurons pas le temps car maintenant que vous m'avez cravaté, dans deux heures je serai mort ». Mort ? lui demandai-je. « Parfaitement », me répondit-il, et en même temps il se mit à mâcher quelque chose qu'il avait dans la bouche. J'ai alors réalisé qu'il absorbait un produit toxique, et je l'adjurai de le recracher. [3]

    Les inspecteurs présents tentent aussitôt de le faire vomir, mais il réussit à avaler la totalité de son poison. Védy est immédiatement transporté à l'Hôtel Dieu où il est admis salle Cusco à 18 heures 15. A 19 heures, les services hospitaliers de l'Hôtel Dieu informent le commissaire David que le nommé Védy vient d'y décéder de suites d'intoxications.

L'Équipe Médéric

Il faut s'empresser d'expliquer de quoi il s'agit ! C'est le nom que se donna, en mars 1944, après l'arrestation de Médéric, le groupe des membres des brigades spéciales qui eurent pour tâche de tirer parti des documents, saisis sur Médéric, tout juste de retour d'Alger et de Londres. Lorsque vint, en mars 1948, la conclusion du procès de la dizaine de « collabos » ainsi dénommés (événement qui se téléscopa avec le transfert des cendres de Gilbert Védy dans sa sépulture des Batignolles) l'emploi dans la presse de cette expression Equipe Médéric fut du plus mauvais effet.

    Plusieurs de nos lecteurs s’indignent à juste titre d’une similitude de faits pouvant prêter à confusion dans l’esprit de beaucoup de gens, certes de bonne foi, mais mal informés.

    Dans nos colonnes, le 23 mars, nous relations l’émouvante cérémonie du transfert des cendres de Gilbert Védy, alias Médéric, mort glorieusement pour la France dans le bureau du sinistre commissaire David, des brigades spéciales, le 21 mars 1944. Le lendemain 24 mars, ainsi que tous nos confrères, nous annoncions le verdict qui frappait les traîtres qui s'étaient illustrés dans leur lutte contre la résistance, sous le titre « d’Equipe Médéric ». On ne sait pourquoi les misérables prirent ce nom glorieux et pur entre tous. Peut-être parce qu’ils s’attaquèrent spécialement à des réseaux dont s’occupa particulièrement Médéric, causant dans les rangs de ceux-ci la disparition ou la mort de plusieurs dizaines de patriotes. ... Est-il utile de rappeler que Médéric, président d’honneur de « Ceux de la Libération », était membre de l’Assemblée consultative d’Alger, compagnon de la Libération, chevalier de la Légion d’honneur. Nous remercions nos lecteurs de nous avoir donné l’occasion de cette mise au point, hélas ! indispensable en 1948. [4]

Plus tard, des biographies plus complètes et détaillées mirent en lumière le rôle déterminent joué par Gilbert Védy, homme de terrain et d'action mais aussi chef de réseau, dans la mise en place, le développement et l'unification des réseaux de Résistance, en particulier dans la zone Nord [5]. En 1959, un timbre de La Poste fut émis à sa mémoire dans une série aux Héros de la Résistance. Pour en savoir davantage, on peut se référer à la page du site de l'Ordre de la Libération qui lui est consacrée.

Gilbert Médéric René VEDY (1902-1944)

Photographie d'avant la guerre et le timbre qui en est inspiré (1959)

Médéric au Vésinet

Pourquoi notre commune a-t-elle choisi de rendre hommage, dès octobre 1944, à cet illustre inconnu ?
Max Boisville qui était aussi un des responsables des réseaux locaux de la Résistance en savait peut-être davantage sur la question mais les motivations ne nous sont pas parvenues. Dans les livres d'histoire du Vésinet, Jean Delcour [5] écrit : Médéric (Gilbert Védy) résistant français, se cacha plusieurs mois au Vésinet, arrêté par la police française au service des Allemands se suicida au commissariat des Grandes Carrières. Quelques années plus tard, Georges Poisson [6] n'en dit pas davantage : Le célèbre Médéric (Gilbert Védy) se cacha plusieurs mois au Vésinet, jusqu'au jour où il fut arrêté.
Plusieurs mois donc, mais quand et où ?
La lecture croisée des quelques notices biographiques de Védy et les nombreuses citations le concernant dans les ouvrages sur l'Occupation et la Résistance n'apportent pas de réponse. Depuis son entrée dans la clandestinité en juillet 1941 lorsqu'il dût fuir Cherbourg (où il habitait et où il avait commencé son action dès juillet 1940) et son arrestation en mars 1944 à Paris, on lui connait beaucoup de lieux de passage, de rencontre y compris lointains (Londres, Alger) car il se déplaçait beaucoup. Par contre, de ses « planques » on ne dit presque rien et lorsqu'on parle de « Paris », il peut s'agir tout aussi bien d'un pavillon de banlieue, d'une villégiature délaissée, que d'un logement parisien proprement dit...
Les témoignages, rendus improbables par le temps qui passe, seront toujours les bienvenus.
Chevalier de la Légion d'Honneur, Compagnon de la Libération (décret du 29 avril 1944) Croix de Guerre 39/45, Médaillé de la Résistance, Gilbert Védy est inhumé au cimetière des Batignolles (Div. 29) près de la Porte de Clichy.

****

    Notes et sources :

    [1] Lors du même conseil municipal, il fut décidé le changement de nom de l'avenue du Maréchal Pétain (voie privée) en avenue du Général Leclerc.

    [2] Le commissaire Fernand David, responsable de la BS1 (pièce 47), surnommé « David les Mains Rouges », fut fusillé à l'issue du procès, le 5 mai 1945.

    [3] L'audition de Gilbert Védy par le commissaire David, chef de la BS1 des Renseignements Généraux (21 mars 1944) est conservée aux archives de la préfecture de police. La citation est extraite du compte-rendu du procès David par Georges Salvago pour le journal L'Ordre, 13 avril 1945.

    [4] La France libre, organe de Ceux de la Libération-Vengeance. 27 mars 1948.

    [5] Délégué pour la zone nord du comité central de la Résistance, Védy était en relation avec les services de la France Libre pour la mise en place des futurs Comités de Libération en métropole. Par ailleurs, délégué de la Résistance à l'Assemblée consultative mise en place à Alger en novembre 1943, il fit plusieurs voyages entre Londres et Alger. C'est au retour d'un de ces voyages qu'il fut arrêté.

    [6] Jean Delcour, Le Vésinet historique, Amelot éditeur, 1962.

    [7] Georges Poisson, La Curieuse histoire du Vésinet, 1975 [réédité en 1986, et 1998].

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2023 • www.histoire-vesinet.org