Journal officiel de la République française - 3 juin 1875 - 7e année, n°150

Le territoire du Vésinet érigé en commune distincte (2)

Rapport fait au nom de la 31e commission d'intérêt local par M. Marcel Barthe, membre de l'Assemblée nationale.
M. Marcel Barthe, député des Basses PyrénéesAnnexe n° 3031. Séance du 24 mai 1875.

Messieurs,
le Gouvernement a déposé sur la bureau de l'Assemblée, dans la séance du 24 février dernier, un projet de loi ayant pour objet de faire décider que le territoire formant l'ancien bois du Vésinet sera érigé on commune distincte. Ce territoire dépend actuellement de Chatou, de Croissy et du Pecq : ces trois communes opposent une vive résistance à la séparation projetée.
L'intelligence du projet de loi soumis à l'Assemblée, nécessite quelques détails sur l'historique de la question et sur les objections qu'elle a soulevées.

    I - Historique de la question

Le bois du Vésinet a fait partie, jusqu'en 1857, du domaine de la couronne. A cette époque, une compagnie de capitalistes, à la tête de laquelle se trouvait M. Pallu, fit un échange avec l'Etat. Elle aliéna en faveur de celui-ci, entre autres immeubles, une grande étendue de propriétés particulières qui séparaient les deux forêts de Marly et de Saint-Germain, aujourd'hui réunies ; elle reçut en échange le bois du Vésinet, composé de trois parcelles d'une contenance d'environ 446 hectares, dont voici la situation :

Dans Chatou 323 ha, dans Croissy 49, dans le Pecq 74,      total: 446 ha. [1]

L'échange dont nous venons de parler fut sanctionné par un sénatus-consulte en date du 24 juin 1857. A l'époque où la compagnie Pallu en prit possession, le bois du Vésinet était dépeuplé d'arbres et ne présentait, dans une grande étendue, qu'un terrain inculte et stérile: on ne le désignait même plus que sous le nom de garenne du Vésinet. Les caisses des trois communes ne profitaient que de la somme de 534,50 frs, sur le montant des contributions foncières afférentes à ce terrain. Sous la main intelligente et habile du directeur de cette compagnie, la garenne du Vésinet ne tarda pas à se transformer. Sa superficie fut divisée en lots destinés à devenir des habitations de luxe et d'agrément. Le nombre des lots vendus de 1857 à 1875, est d'environ 1400, et celui des maisons bâties est de 600. On y compte déjà une population sédentaire de 1 600 à 1 700 habitants, et une population flottante venant y passer la belle saison, de 800 à 900 personnes. Pendant que les lots se couvraient, comme par enchantement, de constructions élégantes, la compagnie Pallu et la population improvisée du Vésinet créaient des routes, des places, des rues, des lacs, des rivières, une église, un presbytère, deux écoles gratuites, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles, enfin, une salle d'asile. Elles ont exécuté tous ces travaux avec leurs propres ressources, sans aucune subvention de l'Etat, du département ou des trois communes.

La part des contributions directes versée par l'agglomération du Vésinet dans les caisses municipales de Chatou, de Croissy et du Pecq, s'est élevée d'année en année et atteint aujourd'hui la somme de 22 268 francs. D'après les renseignements qui nous ont été fournis, ces trois communes ont profité, sur les contributions payées par le Vésinet, d'une somme de 200 000 frs ainsi répartie : Chatou d'environ 100 000 Le Pecq d'environ 70 000, Croissy d'environ. 30 000 : Total 200 000 frs [Dans le projet de loi on n'avait mentionné que la somme dont Chatou a profité]

Le territoire du Vésinet est situé à l'extrémité des trois communes dont il dépend ; l'éloignement des mairies, des églises, des écoles de ces communes, la nécessité de s'adresser à leurs administrations municipales toutes les fois qu'il est nécessaire de prendre une mesure d'intérêt général ; les refus que ces administrations font souvent éprouver aux réclamants ; la participation, sans aucun profit pour le Vésinet, à toutes les dépenses pour les églises, les presbytères, les écoles, les rues, l'éclairage et la police de Chatou, de Croissy et du Pecq ; l'emploi pour les trois communes seules, de la presque totalité des contributions du Vésinet; les sacrifices personnels obligés pour se procurer les établissements publics indispensables; tous ces motifs ont déterminé les habitants à demander que leur agglomération fût érigée en une commune séparée.
Une première demande fut formée à la fin de l'année 1867; l'année suivante et le 5 mars 1868, on la renouvela.
Conformément à l'art. 2 de la loi du 18 juillet 1837, M. le préfet de Seine-et-Oise fit procéder en 1869 à une enquête. 1778 habitants appartenant aux trois communes furent entendus ; 676 furent d'avis de l'érection du Vésinet en une commune distincte et 1102 exprimèrent une opinion opposée.
L'enquête était terminée, les trois communes avaient produit leurs observations, lorsque survint la guerre avec l'Allemagne. L'instruction de l'affaire fut de nouveau interrompue, mais en 1872, les habitants du Vésinet demandèrent avec instance qu'elle fût reprise.
La question de formation d'une commune séparée allait être portée devant le conseil d'arrondissement de Versailles, lorsque par une délibération du 22 octobre 1872, le conseil municipal de Chatou formula une proposition ayant pour but de faire réunir à cette commune les trois sections du Vésinet.
Le conseil d'arrondissement sursit à toute délibération et ordonna l'instruction de cette proposition. Il fut, par suite, procédé en 1873 à une nouvelle enquête. Les trois communes fournirent 1476 déposants ; 793 se prononcèrent contre l'annexion du Vésinet à Chatou, 443 adhérèrent à cette proposition, 152 furent d'avis de maintenir le statu quo, 2 opinèrent contre l'érection du Vésinet en commune distincte, enfin 1 seul réserva son opinion.

Les deux commissaires enquêteurs de 1869 et de 1873 reconnaissent, dans leurs rapports, que la situation des habitants du Vésinet est des plus pénibles; que les trois communes dont ceux-ci dépendent, loin de remplir les obligations dont elles sont tenues envers eux, s'approprient pour elles-mêmes, pour leurs propres besoins, la presque totalité des contributions qu'ils payent. Cependant, l'un et l'autre ont exprimé un avis opposé à l'érection du Vésinet en une commune séparée.
Le premier a pensé que ce changement devait être ajourné jusqu'à ce que la majorité des habitants des trois communes consultées se fût prononcée dans ce sens ; le second, contrairement à l'opinion exprimée par l'immense majorité des personnes entendues dans l'enquête, a estimé que la proposition tendant à l'annexion du Vésinet à Chatou devait être accueillie.
Le conseil d'arrondissement de Versailles et le conseil général de Seine-et-Oise, successivement consultés, ont pensé autrement : à l'unanimité, moins une voix, dans chacun des conseils, ils se sont prononcés pour l'érection en une commune distincte de l'agglomération du Vésinet.

Le Gouvernement a fait rédiger un projet de loi dans ce sens et l'a soumis à l'examen du conseil d'Etat, qui lui a donné son approbation.
A son tour, la 31e commission d'intérêt local est favorable au projet de loi dont elle a été saisie.
Comme le droit de prendre une décision définitive appartient à l'Assemblée seule, nous devons lui faire connaître les objections qui ont été soulevées et les motifs pour lesquels la commission a cru devoir les écarter. 

    II - Objections contre l'érection de l'agglomération du Vésinet en une commune séparée.

    Première Objection : Les obligations imposées aux acquéreurs de lots par le cahier des charges de la compagnie Pallu sont incompatibles avec la formation d'une commune et avec l'existence d'une autorité publique.

En aliénant le territoire du Vésinet par lots, la compagnie Pallu s'est réservé la propriété exclusive des routes, chemins, allées et places avec le droit de les modifier, de les supprimer, d'en créer de nouvelles, sans autre obligation que celle de maintenir les voies servant d'accès aux terrains aliénés.
Les acquéreurs sont obligés de payer un centime par mètre de superficie pour leur part contributive aux dépenses de voirie; la circulation des voitures publiques étrangères à la localité peut être interdite sur les routes ; les dépôts de matériaux et d'immondices sont prohibés.
Les lacs et rivières appartiennent exclusivement à la société Pallu et Cie. Celle-ci se réserve le droit exclusif de faire des concessions d'eau à chaque habitant, d'après un tarif arrêté. Les coulées et pelouses appartiennent à la compagnie. Les acquéreurs des lots sont obligés de les clore d'après un système de clôture déterminé. Les constructions doivent être faites selon des plans dressés et signés par des architectes et à une certaine distance des clôtures.
L'établissement d'usines, de manufactures, de carrières, de plâtrières, de fours à chaux ou à plâtre, de briqueteries et de sablières est interdit. Des commerces, métiers et industries nécessaires pour les constructions et pour les besoins domestiques sont seuls tolérés et devront s'exercer sur des points désignés par la compagnie. Celle-ci se réserve d'établir les appareils d'éclairage sur les voies de communication et sur les places et de préposer à la surveillance dans le territoire du Vésinet, des gardiens de jour et nuit. il est interdit de répandre les eaux ménagères et pluviales sur les voies publiques: tout possesseur d'un lot doit le disposer de manière à les faire absorber. Tout propriétaire a le droit d'obliger les autres à l'exécution des clauses et conditions du cahier des charges. La compagnie se réserve la faculté de modifier les conditions générales pour les lots encore à vendre.

Ces restrictions et ces réserves au profit de MM. Pallu et Cie, si elles avaient été maintenues, auraient été incompatibles avec l'autorité et les droits conférés aux maires et aux conseils municipaux. Mais, par un acte unilatéral authentique, la compagnie fait abandon en faveur de la future commune, à la première réquisition de son conseil municipal :

    1° De la propriété des voies de communication, routes, allées, sentiers, ponts, passerelles, places ou marchés avec la faculté pour la commune, le jour où elle le jugera avantageux, de percevoir aux lieu et place de la compagnie, des propriétaires du Vésinet, le centime par mètre carré destiné aux dépenses d'entretien de la viabilité

    2° De la propriété de l'église et du presbytère du Vésinet avec son jardin

    3° D'une contenance de six mille mètres de terrain pour l'emplacement des établissements municipaux à construire, tels que : mairie, écoles, salle d'asile, etc., etc.

    4° De la quantité d'eau nécessaire pour l'arrosement des voies de communication, pour l'alimentation des fontaines publiques et pour le service des établissements municipaux

    5° De la jouissance gratuite, pendant cinq ans, à partir de l'érection de la commune, des locaux où sont actuellement établis l'asile et l'école de garçons

    6° De la réserve qu'elle s'était faite relativement à l'éclairage des voies de communication et places et à l'institution de gardiens de jour et de nuit

Enfin, la compagnie Pallu renonce à la faculté qu'elle s'était réservée pour les lots encore à vendre, d'imposer aux acquéreurs soit les conditions auxquelles sont déjà soumis les propriétaires actuels, soit des conditions nouvelles. Les conditions du cahier des charges, qui n'ont pas été abandonnées, consistent : Dans le privilège pour la compagnie Pallu de fournir aux propriétaires du Vésinet l'eau nécessaire aux usages de l'intérieur de leurs habitations; Dans la propriété des lacs et rivières au profit de ladite compagnie ; Dans l'interdiction de faire sur les voies publiques des dépôts de matériaux et d'immondices ; Dans l'obligation de clore les terrains acquis suivant les prescriptions stipulées; Dans l'obligation pour les acquéreurs de lots de construire d'après des plans dressés par des architectes ; Dans l'interdiction pour certaines industries de s'établir au Vésinet; Enfin, dans l'obligation pour les industries tolérées, de ne s'exercer que sur certains points déterminés d'après le plan et comprenant 695 lots sur 2,110.

Les restrictions maintenues et dont nous venons de faire l'énumération, sont-elles incompatibles avec l'existence d'une commune ?
La 31e commission d'intérêt local ne l'a point pensé et nous allons en dire les motifs. D'abord, le privilège que s'est réservé la compagnie Pallu pour la fourniture de l'eau n'est pas un obstacle au fonctionnement d'une administration municipale, car beaucoup de villes, pour se procurer l'eau nécessaire aux habitants, ont dû concéder un privilège semblable à des compagnies. Nous pouvons citer, sans sortir du cercle des communes dont nous nous occupons, celles de Chatou et de Croissy qui ont concédé à la compagnie Pallu elle-même, en 1860, le privilège de la fourniture de l'eau pendant cinquante ans.
La propriété des rivières et lacs que la compagnie s'est réservée, ne peut pas empêcher, non plus, la formation d'une commune. Cette qualification de rivières et de lacs est un peu ambitieuse ; les eaux auxquelles on l'applique dans le Vésinet ne constituent point des cours d'eau; au lieu de couler dans un lit naturel, elles sont amenées par des travaux d'art dans des bassins construits de main d'hommes.
Les dispositions des lois relatives au régime des eaux et d'après lesquelles les eaux courantes sont res nullius ne peuvent donc pas trouver ici leur application.
Quant à l'interdiction de faire des dépôts de matériaux et d'immondices sur les voies publiques, aux obligations de clore les propriétés, de ne construire que d'après des plans dressés par architectes, et de n'exercer les industries admises sur le territoire du Vésinet que sur certains points déterminés, nous n'y trouvons rien d'incompatible avec les lois sur l'organisation et l'administration municipales.
Quels sont, en effet, les principes constitutifs d'une commune ? Ils peuvent se résumer ainsi: Pour qu'une commune puisse exister, il faut un groupe d'habitants susceptible de former une  personne morale, c'est à dire ayant des biens propres, un budget spécial,pouvant contracter, acquérir, posséder, aliéner et ester en justice.
Toutes ces conditions se rencontreront dans l'agglomération du Vésinet, dès qu'elle sera érigée en commune et quelle sera administrée par des officiers municipaux. En effet, elle aura un domaine propre affecté à des services publics, comprenant les chemins, rues, places publiques, une église, un presbytère, une mairie, des écoles et un asile. Elle aura un budget composé à l'actif de la portion revenant à la caisse communale sur le montant des contributions directes payés par les habitants et composé, au passif, des dépenses obligatoires et facultatives prévues pour les besoins municipaux. Elle pourra faire tous les actes de la vie civile d'une commune, accepter les libéralités qui lui seront faites, administrer ses biens, comparaître en justice en la personne de son maire, soit pour attaquer, soit pour se défendre lorsque ses intérêts l'exigeront.
Il n'est pas rare que des donations soient faites à des communes sous la condition que les biens donnés recevront une destination déterminée ou que la jouissance en sera soumise à certaines restrictions. Des réservées semblables n'ont jamais été considérées comme un obstacle à l'acceptation, quand elles ne sont en rien contraires aux lois ou aux bonnes mœurs.

    Deuxième objection : La composition de la population du Vésinet est de nature à empêcher la constitution d'une commune.

Les conseils municipaux de Chatou, de Croissy et du Pecq prétendent que la  population du Vésinet ne contient pas les éléments nécessaires pour former une commune. Qui peut habiter le Vésinet, disent-ils ? des Parisiens riches, recherchant le repos et les commodités d'une vie retirée, venant y bâtir des villas luxueuses ou bien des locataires y séjournant pendant quelques mois de la belle saison. Cette objection ne repose sur aucun motif légal. On chercherait vainement dans nos codes une disposition subordonnant l'existence d'une commune à la composition de la population qui devra la former, ou exigeant un mélange d'habitants de toutes les professions et de toutes les conditions sociales.
Sur nos 36 000 communes, il y en a plus de 28 000 d'une population inférieure à 1000 habitants.  On trouverait difficilement dans ces petits groupes la variété de professions que les trois communes voudraient exiger du Vésinet pour son érection en une municipalité distincte. Dans l'immense majorité de ces communes, on ne rencontre même pas les industries les plus élémentaires. C'est dans les centres plus importants, surtout dans les chefs-lieux de Canton qu'il faut aller chercher des maçons, les menuisiers, en un mot les ouvriers d'industrie. Cependant l'administration municipale fonctionne régulièrement dans ces agglomérations.
Tout le monde sait aussi que dans certaines localités qui sont plus spécialement des stations d'eaux, la population se réduit à des propriétaires de maisons, à des étrangers se renouvelant chaque mois, à un certain nombre de domestiques, d'ouvriers et de commerçants venant uniquement pour y exercer leur industrie ou s'y livrer à leur commerce pendant la saison des eaux.
Néanmoins on ne s'est jamais avisé de contester à une agglomération cette nature le droit d'être constituée en commune.
D'ailleurs, le Vésinet a une population de professions diverses qui, à l'époque du recensement de 1872, était de 1485 habitants sédentaires et qui aujourd'hui dépasse 1600, sans compter la population flottante qu'on n'évalue pas à moins de 800 ou 900 âmes. Si un groupe si nombreux ne suffisait pas pour avoir le droit de former une Commune distincte, que faudrait-il dire de la majorité de nos communes ? Sur 36 000 dont la France est composée, il n'y en a que 4889 ayant une population supérieure à 1500 habitants.

Dans un nouveau mémoire qui porte la date du 25 Avril 1875, la commune de Pecq, après avoir reproduit l'objection à laquelle nous venons de répondre, ajoute: « il paraît étrange de voir constitué un centre de population essentiellement aristocratique, au milieu de populations rurales ». Assurément si le projet qui nous est soumis devait avoir un résultat de constituer un centre aristocratique, il serait illégal et nous n'en proposerions pas l'adoption. Mais s'est par un singulier abus de langage que l'expression aristocratique se trouve ici employé. Il ne faut pas confondre l'aisance ou la richesse, le plus ordinairement fruit du travail et de l'économie, ayant par conséquent une origine tout à fait démocratique, avec l'aristocratie. Dans le sens historique et légal du mot, qui dit aristocratie, désigne une caste privilégiée affranchie des obligations que les lois font peser sur les autres classes de citoyens. Y aura t-il rien de semblable dans la commune de Vésinet ? Est-ce que tous les habitants, sans distinction, n'y seront pas tenus de payer l'impôt et de remplir tous les devoirs attachés à la qualité de Français ? En vérité, nous ne comprenons pas en quoi les principes d'égalité dont se préoccupe la commune du Pecq, pourront être blessés par la création d'une commune voisine, composée d'habitants riches ou aisés qui, pour leurs objets de consommation seront obligés de se pourvoir en partie chez elle et qui, pour les travaux qu'ils voudront exécuter, seront obligés de recourir à ses ouvriers. Au lieu d'être nuisible aux trois communes, l'agglomération du Vésinet sera un débouché pour les produits de leurs terres et de leurs industries.
Du reste, il ne faut pas perdre de vue que tous les habitants du Vésinet sont liés par les clauses de leurs contrats d'acquisition auxquels on ne peut pas porter atteinte, et que l'érection du Vésinet en commune distincte ne changera rien à leur situation industrielle et commerciale.
Les servitudes et prohibitions, résultant du cahier de charges, loin d'en être aggravées, se trouveront allégées par suite des abandonnements faits par la compagnie Pallu.
Enfin ce qu'on vous propose de faire pour le Vésinet a déjà été fait pour le parc du Raincy. Ce parc dépendait de la commune de Livry (Seine-et-Oise). Il y a environ vingt ans, il fut acheté par une compagnie et divisé en lots. Un cahier des charges astreignit les acquéreurs à des conditions analogues à celles qui existent aujourd'hui au Vésinet.
Plus tard, lorsque le nombres des maisons bâties, et le chiffre de la population qui s'y établit, furent suffisants pour qu'on put organiser une municipalité, les habitants du Raincy demandèrent à être séparés de Livry et obtinrent l'érection d'une commune distincte.

    Troisième objection : Le Vésinet ne possède pas de ressources suffisantes pour pourvoir aux dépenses qu'entraînerait son érection en commune séparée.

Les trois communes opposées à la séparation du Vésinet soutiennent que ce dernier ne possède pas de revenus suffisants pour subvenir aux charges qu'entraînerait son érection en commune. Cette allégation surprend de leur part, car sans être aidé par elles, le Vésinet verse chaque année dans leur caisse, sans aucun profit pour lui, la somme de 19 ou 20 000 frs. Comment le Vésinet qui enrichit, on peut le dire, les trois communes qui le tiennent en tutelle ne pourrait-il pas se suffire à lui-même ?
Les représentants des trois communes ont dressé pour le Vésinet un budget duquel résulterait une insuffisance de ressources ; mais en faisant une longue énumération de dépenses, ils paraissent avoir oublié que les dépenses communales se divisent en dépenses obligatoires et en dépenses facultatives. Parmi les premières, les plus onéreuses sont celles qui concernent les chemins vicinaux, l'instruction primaire, l'indémnité de logement aux ministres des cultes, les secours aux fabriques des églises, les grosses réparations des édifices communaux. Or, les habitants du Vésinet pourvoient actuellement à toutes ces dépenses par leurs ressources propres bien qu'une somme de 19 ou 20 000 frs qui devrait leur appartenir si leur agglomération était érigée en commune, profite exclusivement chaque année aux caisses des trois communes.
Quelque chose étonne dans la sollicitude de Chatou, de Croissy et du Pecq pour les finances du Vésinet.
Comment ! les habitants du Vésinet versent chaque année, dans les caisses des trois communes, une somme presque égale aux revenus de Chatou et supérieure à ceux de Croissy et du Pecq, et ils ne pourraient pas suffire à leurs propres dépenses municipales s'ils formaient une commune distincte ? Cela est inexplicable.
Du reste, les syndics des propriétaires du Vésinet ont dressé, eux aussi, un projet de budget comprenant même plusieurs dépenses facultatives, notamment une somme supérieure à 3000 francs pour l'instruction gratuite. Néanmoins ce projet de budget se balance ainsi :

    Recettes.... 22 268,05 frs

    Dépenses.... 10 951,70 frs

    Excédant des recettes.... 11 316,35 frs

Il est vrai que la future commune aura à pourvoir à une dépense extraordinaire de 118,000 frs, pour les établissements communaux et pour laquelle elle devra contracter un emprunt ; mais elle aura à sa disposition une subvention de la compagnie Pallu de 31 250 frs et quelques autres ressources disponibles qui réduiront à 80 000 frs le capital à emprunter.
Or, d'après des calculs qu'il est facile de vérifier, le payement de cette dette pourra s'effectuer à l'aide de dix-huit annuités de 6792 frs chacune. Le budget présentera donc, malgré ce prélèvement, un excédant annuel de recettes de plus de 4000 frs. Nous devons dire encore que les recettes s'accroitront progressivement au fur et à mesure que le nombre des constructions augmentera et que la future commune, subrogée aux droits de la compagnie Pallu, pourra, en dehors du budget communal, subvenir à toutes les dépenses d'entretien des routes et chemins avec la taxe de un centime par mètre carré de terrain mise à la charge de tous les acquéreurs de lots. Cette perception permettrait de faire disparaître du budget une somme assez élevée qui y est inscrite pour les chemins déjà communaux.
L'objection tirée de l'insuffisance des ressources budgétaires du Vésinet est donc dénuée de fondement.

    Quatrième objection : L'érection du Vésinet en une commune distincte amènerait un amoindrissement considérable dans les revenus des trois communes.

Après avoir soutenu que le Vésinet manquerait des ressources nécessaires pour subsister comme commune séparée, Chatou, Croissy et le Pecq s'opposent à la séparation, parce qu'il en résulterait pour elles une diminution considérable dans leurs revenus annuels. N'y a-t-il pas là une contradiction ?
Cette dernière objection laisse percer un intérêt personnel peu modéré. Le Vésinet, jusqu'en 1857, ne rapportait aux trois communes que 534,50 frs de contributions, somme insuffisante pour l'entretien des voies de communication qui traversaient le bois. Il est vrai que, depuis cette époque, grâce la compagnie Pallu et aux capitalistes qui ont transformé un bois ruiné et dépeuplé, en une agglomération d'élégantes habitations, les trois communes ont profité d'une somme de 200,000 frs, mais elles ne peuvent pas considérer comme leur appartenant pour l'avenir, le produit annuel des contributions payées par le Vésinet et qui, jusqu'ici, a été versé dans leurs caisses sans aucun profit, on peut le dire, pour les propriétaires qui les payaient.
Sans la spéculation heureuse de la compagnie Pallu et sans les constructions faites par les acquéreurs des lots, le Vésinet aurait continué à grever les budgets des communes de Chatou, de Croissy et du Pecq, puisqu'elles ne percevaient que 534,50 frs sur les contributions et qu'elles devaient pourvoir à une dépense supérieure à ce chiffre pour l'entretien des routes traversant le bois.
Les trois communes ne peuvent donc pas considérer comme leur appartenant pour l'avenir les contributions grevant les maisons bâties par ceux-là mêmes qui demandent à former une commune distincte ; du reste, malgré la séparation du Vésinet, les trois communes conserveront une importance assurément plus que suffisante pour constituer des municipalités distinctes. En effet, d'après des renseignements officiels qui nous ont été fournis, elles auront encore :

 

En territoire

En habitants

En revenus ordinaires

    Chatou

    Croissy

    Le Pecq

505 ha 02 a 14 ca

371 ha 07 a 07 ca

293 ha 31 a 42 ca

2 262

1 590

1 569

25 997,41 frs

16 105,82 frs [*]

16 520,73

 

[*]  Dans le projet de loi on a commis une erreur en portant seulement à 10 852,26 frs les revenus de Croissy.

L'Assemblée admettra difficilement que des communes possédant ces chiffres de  population ne puissent pas se maintenir; elle n'oubliera pas que sur nos 36,000 communes, il y en a près de 30,000 dont la population est inférieure à 1500 habitants et dont les revenus sont au-dessous de 10 000 frs.

    Cinquième objection : Les communes de Chatou, de Croissy et du Pecq, s'opposent à l'érection de la commune projetée parce que leurs habitants avaient anciennement des droits d'usage sur le bois du Vésinet.

On aurait compris qu'en 1857 les trois communes se fussent opposés à un échange entre l'Etat et la compagnie Pallu, à moins qu'on ne leur donnât l'équivalent des droits d'usage appartenant à leurs habitants sur le bois du Vésinet; mais aujourd'hui une pareille prétention n'a plus de raison d'être. La compagnie Pallu est devenue propriétaire sans aucune réserve stipulée au profit des trois communes. Celles-ci ont dû renoncer expressément ou sont censées avoir renoncé à leurs droits d'usage.
De plus, la propriété exclusive du Vésinet appartient à la compagnie Pallu non-seulement en vertu d'un contrat approuvé par un sénatus consulte, mais encore en vertu d'une possession décennale appuyée sur un juste titre (art. 2265 c. civ). Enfin, les habitants des trois commune ne peuvent pas, sous le prétexte de revendiquer des droits d'usage en nature, sur un bois qui a disparu pour faire place à une agglomération de maisons, s'opposer à l'érection de la commune projetée.
Que pourraient-ils faire ? Tout au plus intenter une action en dommages-intérêts contre l'Etat, qui, en aliénant le Vésinet en faveur de la compagnie Pallu, n'a pas réservé leurs droits d'usage ; mais hâtons-nous de dire qu'une telle action serait à la fois non-recevable et mal fondée. Non recevable, parce que l'échange dont il s'agit n'a certainement pas été fait sans le consentement des conseils municipaux; mal fondée, parce que la compagnie Pallu, en créant un centre de population riche sur les confins des trois communes, a augmenté, par cela même, l'importance de celles-ci, ouvert un nouveau débouché pour leurs produits et accru l'aisance de leurs habitants. Il nous est facile d'en donner la preuve car l'influence heureuse exercée par l'agglomération du Vésinet sur le développement de la population et de la richesse des trois communes est officiellement établie.
En 1856, antérieurement à la prise de possession du Vésinet par la compagnie Pallu, la population sédentaire de Chatou était de 1422 habitants. En 1875, elle est de 2262 habitants. La population sédentaire de Croissy était de 664 habitants. En 1875, elle est de 1590 habitants. La population sédentaire du Pecq était de 1,099 habitants. Elle est aujourd'hui de 1569 habitants. Les revenus ordinaires de Chatou étaient de 8 340,69 frs. En 1875, ils sont de 25 997,41 frs. Les revenus ordinaires de Croissy étaient de 6 329,62 frs. En 1875, ils sont de 16 105,82 frs. Les revenus ordinaires du Pecq étaient de 6 711 francs. En 1875, ils sont de 16 530,75 frs.

    Sixième objection : Les délimitations indiquées dans le projet de loi pour la commune projetée sont inadmissibles.

Les trois communes prétendent que les délimitations proposées dans le projet de loi, pour la future commune, créeraient des enclaves fâcheuses ; mais au lieu de proposer une rectification de limites, elles demandent qu'on leur donne des parties bâties et importantes du Vésinet.
Ainsi, la commune du Pecq demande, si le projet de loi est adopté, qu'on lui attribue la portion du territoire du Vésinet comprise entre la route de Chatou, la ligne du chemin de fer et la route de Sartrouville, avec la totalité du rond-point.
Par une délibération du 27 juillet 1873, la commune de Croissy demande aussi pour elle la portion du territoire du Vésinet comprise entre la route des Princes, le chemin de fer et l'avenue de la Princesse.
Enfin, la commune de Chatou demande qu'on lui abandonne, toujours sur le territoire du Vésinet, 15 hectares 61 ares 95 centiares au quartier de la Faisanderie et 22 hectares 68 ares 65 centiares au quartier de la Plaine, en tout 38 hectares 30 ares 60 centiares.
Les portions du Vésinet revendiquées par les trois communes sont les plus productives et donnent pour la part communale, dans les contributions directes et dans d'autres taxes, telles que les prestations rachetées en argent et l'impôt sur les chiens, savoir :

      La portion demandée par le Pecq, environ 4 500 frs

      La portion demandée par Croissy. environ 3 000 frs

      La portion demandée par Chatou, environ 4.983,52 frs

      Total ..............12 483,52 frs

Est-ce pour obtenir des délimitations plus exactes que les trois communes réclament les portions de territoire que nous venons d'indiquer ? N'est-il pas permis de penser que la défectuosité dans les délimitations n'est qu'un prétexte et que le vrai motif de leurs prétentions c'est la somme importante de revenus annuels dont chacune d'elles voudrait profiter au détriment du Vésinet ?
Leurs demandes sont dénuées de toute justice.
Ces communes n'ont absolument rien fait pour que les portions de territoire qu'elles voudraient s'approprier, se couvrissent de riches constructions : pourquoi donc profiteraient-elles d'une augmentation de valeur qui est due uniquement à l'emploi des capitaux de la compagnie Pallu et des acquéreurs des lots ?
En second lieu, on ne comprend pas comment après avoir soutenu que l'autorisation de former une commune séparée devait être refusée au Vésinet par ce motif qu'il n'avait pas des revenus suffisants pour pourvoir à ses dépenses municipales, les trois communes demandent qu'on lui enlève la portion la plus productive de son territoire, c'est-à-dire plus de la moitié de ses ressources, pour les enrichir elles-mêmes d'un revenu annuel de 12 483,52 frs. Il y a là une contradiction évidente qu'un intérêt trop exclusif peut seul expliquer.

Dans un nouveau mémoire publié à l'appui de la délibération du 23 février 1875, la commune de Chatou fait remarquer que si les délimitations proposées par le projet de loi étaient adoptées, plusieurs propriétés reposeraient à la fois sur le territoire du Vésinet et sur celui de Chatou. Cette circonstance n'a absolument aucune importance. Quelques propriétaires après avoir acquis un ou plusieurs lots de la compagnie Pallu, y ont annexé des terrains dépendant de Chatou. Quel inconvénient peut-il résulter de ce fait qu'on peut rencontrer dans toutes les communes, du moins dans toutes celles qui, au lieu d'être séparées de leurs voisines par des accidents de terrain, tels que les cours d'eau, ne le sont que par des lignes géométriques ? Est-ce que la jouissance, la culture, l'exploitation d'un enclos rural ou urbain sont plus difficiles parce qu'il dépend, pour partie, de deux communes ? Pas le moins du monde. Il n'y a là qu'une question de cadastre dont le propriétaire ne s'aperçoit que sur les bulletins de ses contributions.
Mais la commune de Chatou qui se récrie contre quelques enclaves qu'entraînerait l'adoption du projet de loi relatif au Vésinet, en a créé elle-même de bien plus grandes dans un échange qu'elle a fait avec la commune de Montesson. Le terrain qu'elle a reçu de celle-ci présente une série d'angles qui n'existera pas dans les délimitations avec le Vésinet.
Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire ressortir ce qu'il y a d'exagéré dans les plaintes de Chatou au sujet de ces délimitations. Dans tous les plans produits par les divers intéressés, on voit que le territoire du Vésinet est entouré de clôtures et de chemins, sauf sur une partie insignifiante d'environ 80 mètres. Du reste, cette lacune disparaîtra par suite de l'application du cahier des charges de la compagnie Pallu qui oblige les acquéreurs des lots a les clore. Or, quelles délimitations plus régulières peut-on demander entre deux communes voisines que des murs de clôture et des chemins ?
S'il s'agissait uniquement de limiter le territoire du Vésinet par des lignes d'une rectitude mathématique, il se pourrait que les limites proposées dans le projet de loi laissassent à désirer, Mais les groupes qui constituent les communes ne se forment pas d'après des plans préconçus plus ou moins réguliers. Les membres qui les composent sont unis par des liens de famille, par des affinités et par des intérêts communs. Voilà les éléments constitutifs de l'être moral qu'on appelle commune.
Or, si ces principes sont vrais, d'une manière générale, à plus forte raison sont-ils incontestables en ce qui concerne le Vésinet. Tous les propriétaires y sont liés, les uns envers les autres, par leurs contrats d'acquisition. Les obligations identiques qu'ils ont contractées en acquérant leurs lots, créent entre eux une communauté d'intérêts complète. Dans la situation spéciale qui leur est faite par les actes qu'ils ont souscrits, on ne comprendrait pas qu'une portion d'entre eux pût être détachée de leurs co-intéressés. Quelle serait la position des habitants du Vésinet qui, au lieu de faire partie de la future commune, seraient compris dans une des trois autres ? Ne pouvant pas s'affranchir des obligations résultant de leurs contrats d acquisition, ils devraient contribuer à la fois aux dépenses d'un intérêt municipal, tant dans la commune du Vésinet que dans la commune à laquelle ils seraient rattachés.
Évidemment, cela ne serait ni juste ni légal ; car, en principe, nul ne doit contribuer aux charges publiques que dans la proportion de sa fortune.
Ajoutons que la compagnie Pallu, en faisant des abondonnements considérables et en donnant une subvention de 31 250 frs, met pour condition à ces libéralités que tous les lots formés avec le territoire de l'ancien bois du Vésinet seront compris dans la future commune. Qui peut nier que la similitude, ou pour mieux dire, l'unité d'intérêt, existant entre tous les propriétaires du Vésinet, ne soit une considération autrement importante que des irrégularités matérielles, au fond insignifiantes, résultant des délimitations proposées. Le Gouvernement ne pouvait point ne pas en tenir compte; aussi propose-t-il, conformément aux avis du conseil d'arrondissement, du conseil général et du conseil d'Etat, de comprendre dans la future commune, tous les acquéreurs de l'ancien bois du Vésinet.

    Septième objection : Le Vésinet érigé en commune n'aurait pas de cimetière.

Dans le dernier mémoire de Chatou, dont nous avons déjà parlé, cette commune offre au Vésinet, en échange du terrain couvert de constructions, dont elle demande la concession, une certaine étendue de terre pouvant servir de cimetière. Elle prétend que si cet échange n'a pas lieu, le Vésinet ne pourra établir un cimetière que dans l'espace occupé par les lots non encore aliénés.
Comme la compagnie Pallu s'est réservé ces lots pour les vendre à son profit, l'érection de la commune projetée serait impossible si la prétention de Chatou était fondée. On ne peut pas, en effet, concevoir l'existence d'une commune sans un cimetière pour y déposer ses morts. Mais Chatou nous semble avoir oublié quels sont les véritables principes du droit public en cette matière. La loi n'interdit point à une commune d'établir son cimetière sur un terrain situé hors de son territoire, dans une commune voisine. Le conseil d'Etat a consacré cette doctrine plusieurs fois, notamment par deux arrêts, l'un au 29 mai 1867, l'autre du 4 décembre 1874.
Nous trouvons l'application de ces principes dans le département même de Seine-et-Oise. La commune du Raincy, formée de l'ancien parc de ce nom, qui dépendait autrefois de Livry, a un cimetière dans le territoire de cette dernière commune. Le Raincy administre ce cimetière et perçoit le prix des concessions de terrain. Relativement à l'objection qui nous occupe, tout se réduit à savoir si la future commune du Vésinet pourra posséder un cimetière dans le territoire de Chatou ? Or, cela ne nous semble pas douteux.
Avant 1857, c'est-à-dire antérieurement à l'acquisition par la compagnie Pallu du bois du Vésinet, Chatou avait un cimetière d'une superficie de 1800 mètres. Cette contenance ayant été reconnue insuffisante après les développements pris par le Vésinet, il a été acquis en 1861, une superficie de 10 000 mètres, à laquelle on a annexé tout récemment un nouveau terrain de 5500 mètres de sorte que le cimetière commun à Chatou et au Vésinet est, actuellement, d'une contenance de 15 500 m environ.
Si, comme le disent les propriétaires du Vésinet, ils ont acquis en commun avec les habitants de Chatou, le cimetière actuel, dont la contenance est plus que suffisante à ces deux populations, la future commune aura le droit d'en demander le partage et de l'obtenir. Mais les habitants du Vésinet, en gens prudents, ont prévu toutes les éventualités. Ils ont acquis, à l'extrémité de la plaine de Chatou, à plus d'un kilomètre de toute habitation de cette commune, sur un point isolé formant enclave dans le Vésinet, une contenance de 27 à 28 000 mètres au centre duquel pourra être établi, dans les conditions prescrites par les décrets des 12 juin 1804 et 7 mars 1808, un cimetière d'une étendue de 8 à 10 000 mètres. Il est inutile d'insister davantage sur la question relative au cimetière, car elle ne peut être résolue par l'Assemblée nationale ; la solution doit être réservée au pouvoir exécutif et, dans le cas de contestation, aux tribunaux civils ou aux tribunaux administratifs selon la nature des difficultés.

    Huitième objection : Les communes de Chatou et de Croissy ayant contracté des dettes dont les habitants du Vésinet sont également tenus, la part à supporter par ceux-ci devrait être déterminée avant l'érection de la commune projetée.

Les communes de Chatou et de Croissy ont contracté des dettes, soit pour un emprunt de guerre, soit pour des établissements communaux. Les habitants du Vésinet qui appartenaient à l'une ou à l'autre de ces deux communes au moment où les emprunts ont eu lieu ne pourront pas se trouver affranchis de leur part de dette, par cela seul qu'ils formeront une commune nouvelle. Ils seront, incontestablement tenus de payer leur part de l'emprunt de guerre. Quant aux autres dépenses, il faudra déterminer si la nouvelle commune en profite et quelle proportion. Mais le règlement des comptes à intervenir n'entre pas dans les attributions du pouvoir législatif. Les difficultés que pourront faire naître les réclamations respectives des trois communes d'un côté, et du Vésinet de l'autre, seront de la compétence spéciale du tribunal administratif. L'Assemblée commettrait une confusion de pouvoirs si elle les tranchait elle-même. Nous devons ajouter que ces réclamations ne pourront être examinées qu'après que la séparation du Vésinet aura été opérée. Il est, en effet, de principe que la liquidation d'une communauté ou d'une société quelconque ne peut avoir lieu qu'après sa dissolution : c'est alors seulement que naissent les oppositions d'intérêt.
D'ailleurs, est-ce que le Vésinet pourrait figurer actuellement comme une personne morale dans une instance administrative ? Est-ce que d'après nos lois, les communes peuvent ester en justice autrement que par leurs administrateurs municipaux ? Il faut donc, avant tout, afin que les habitants du Vésinet puissent d'un côté, se défendre contre les prétentions des trois communes, d'un autre, faire valoir leurs exceptions, qu'ils soient constitués en commune séparée, et qu'ils aient à leur tête une administration municipale pour les représenter.

Le Gouvernement, en déposant le projet de loi qui nous occupe, ne pouvait pas se dispenser de réserver à l'administration la connaissance des difficultés qui pourront naître du règlement des dettes et des répétitions réciproques entre Chatou, Croissy, le Pecq et la future Commune du Vésinet. La 31e commission d'Intérêt local a donc l'honneur de proposer à l'Assemblée, sans s'arrêter aux objections soulevées, d'adopter le projet de loi déposé par le Gouvernements et ainsi conçu :

PROJET DE LOI

    Art. 1er. — Le territoire formant l'ancien bois du Vésinet et dépendant des communes de Chatou, de Croissy et du Pecq, Canton de Saint-Germain-en-Laye, arrondissement de Versailles, département de Seine-et-Oise, formera à l'avenir une commune distincte sous le nom de « Le Vésinet ».
    En conséquence, la limite entre la nouvelle commune et les Communes de Chatou, de Croissy et du Pecq sera fixée conformément à la ligne figurée par un liseré bleu et carmin au plan annexé à la présente loi.

    Art. 2.  Il est pris acte de l'engagement souscrit par la compagnie Pallu, par acte unilatéral en date du 15 juin 1872.

    Art. 3.  Les autres conditions de la séparation seront ultérieurement réglées par un décret.

La loi sera votée en ces termes le 31 mai 1875 et le texte publié au journal officiel du 8 juin suivant.

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    [1] Auxquels il conviendra d'ajouter les 32 hectares de l'Asile (compris dans la partie de la Garenne, attribuée à Croissyà la Révolution) pour atteindre les ~ 500 hectares du Vésinet d'aujourd'hui.


Société d'Histoire du Vésinet, 2014 - www.histoire-vesinet.org