Affaire Hériot, octobre - novembre 1888. Extraits d'articles de presse.

L'Oubliette du Vésinet
La Villa Stoltz transformée en
« cabanon » pour l'internement du commandant Hériot

Le 6 juin 1888, à la Boissière, le Commandant Hériot "pris d'un accès de fièvre chaude" tire sur sa femme un coup de pistolet (sans la blesser) puis il tente de se donner la mort (sans succès). Ce fait-divers qui restera mystérieux va engendrer une longue affaire de famille opposant Madame Hériot aux cousins de son mari. Madame Hériot entreprend de faire "interdire" son mari tandis que les cousins de celui-ci, se plaignent d'être tenus éloignés de leur parent accusant Madame Hériot des pires forfaits.

Le crime de la Boissière - Le commandant Hériot

La Diane, dimanche 14 octobre 1888 (1ère année, n°19)
Caricature signée Alfred le Grand

De l'abondante littérature produite par cette affaire qui s'est déroulée sur près de deux ans, nous ne retiendrons ici que les passages rendant compte de la transformation de la Villa Stoltz. Achetée par Auguste Hériot, fondateur des magazins du Louvre, probablement en 1874, elle fut pour lui jusqu'à sa mort en 1879 une de ses résidences de villégiature. Le commandant Olympe Hériot, son frère et son héritier, jugeant "la maison de la chanteuse" trop exigüe en fit construire une autre, beaucoup plus vaste dans la propriété : la Villa Hériot.
Le Gaulois, sous la plume de Jules Margat, donne une description détaillée de cette transformation [1]:

Nous avons dit hier, que le commandant Hériot quitterait la Boissière dans les premiers jours de novembre, pour être transféré à la villa Stoltz, au Vésinet..
Des travaux considérables sont en cours d'exécution dans cette propriété. Elle se compose, avons-nous dit, de deux pavillons ; le premier, de construction récente, sera occupé par Mme Hériot et ses enfants ; le second, construit par Mme Stoltz, sera précisément affecté à M. Hériot.
On comprend que l'état de surexcitation du malade pouvant s'aggraver au point d'amener des complications fâcheuses, il a été nécessaire d'aménager d'une façon conforme à son état l'habitation qui lui est destinée.
Cette villa, isolée au milieu de vastes pelouses, ornées de massifs de fleurs et d'arbres de haute futaie, possède du reste tout le confort désirable.
II y a deux mois, on s'était occupé déjà de l'installation des chambres réservées au malade.
Mme Hériot s'attendait, à cette époque, à ce que le parquet l'invitât à faire transférer M. Hériot au Vésinet, afin de faciliter les examens médicaux et les consultations des médecins légistes, les communications avec la Boissière n'étant pas des plus faciles.
Mais on laissa à Mme Hériot la faculté de soigner le malade dans celle de ses propriétés qui lui semblait la plus convenable. Et les travaux s'arrêtèrent pendant quelque temps.
Deux chambres avaient été capitonnées et des palissades avaient été élevées dans le parc pour séparer la villa Stoltz des autres parties de la propriété.
La demande en interdiction, formulée par Mme Hériot, devant venir prochainement et être examinée par le tribunal de la Seine, il a fallu de nouveau songer à l'aménagement définitif de la villa Stoltz. Un des médecins qui soignent le commandant à la Boissière, est venu ces jours derniers, visiter les travaux précédemment exécutés. Trouvant le capitonnage déjà placé inutile, il a donné l'ordre de remettre les chambres en leur état primitif.
La villa se compose d'un rez-de-chaussée et d'un étage. La chambre du commandant est située à la façade principale de la villa, les fenêtres de cette chambre donnent sur le parc. On avait entouré la villa Stoltz d'une palissade assez élevée : trois mètres. Mais le terrain compris dans cette enceinte a été jugé trop insuffisant, et on a démoli cette première clôture. On la remplace, aujourd'hui, par une nouvelle palissade en planches très épaisses, atteignant une hauteur de cinq mètres.
L'enclos qu'elles forment offre un aspect singulièrement triste et qui serre le cœur au premier abord. Les planches, peintes en vert très sombre, dérobent, en grande partie, la vue de la villa et des bosquets qui l'entourent. Cette habitation sera toutefois plus saine et plus confortable que le maigre logement qu'on pourrait offrir au malade dans une maison de santé, et l'air qu'il y respirera ne sera point une atmosphère d'hôpital, viciée par les médicaments.
Entre la palissade et le mur extérieur de la propriété existera, la palissade une fois achevée, une espèce de chemin de ronde, d'une largeur de quinze mètres environ. La villa Stoltz ne sera occupée que par le commandant, ses médecins, et le personnel attaché à son service. Au rez-de-chaussée se trouvent deux salons, la salle à manger et la salle de billard. Le premier étage comprendra l'appartement de M. Hériot, les chambres des médecins et celles des surveillants. On a enlevé les vitres qui existaient aux fenêtres de l'appartement du malade et on les a remplacées par des glaces en verre opaque, très épaisses, et d'une solidité à toute épreuve. On a, en outre, garni de solides barreaux les fenêtres du rez-de-chaussée donnant sur la rue.
La villa Stoltz et le terrain réservé à M. Hériot formeront donc, dans la propriété du Vésinet, une seconde propriété, absolument séparée de la première et comprise de toutes parts dans celle-ci.
Un personnel spécial, depuis le cuisinier et les valets de chambre jusqu'au jardinier, sera affecté au service du commandant. Malgré ces précautions, on a cru devoir encore modifier la clôture extérieure de la propriété. L'enceinte était formée de murs pleins, en certains endroits plus loin, de murs peu élevés, surmontés de grilles et enfin, de simples grilles. Toutes les grilles qui entourent la partie du parc destinée au malade vont être recouvertes de plaques de tôle. Nous avons assisté hier à la pose de la première de ces plaques. Quand ce travail sera achevé, les personnes qui passeront entre le mur et la palissade pourront se croire dans le chemin de ronde d'une prison.
Ces précautions peuvent sembler exagérées mais combien elles sont moindres encore que celles prises dans la maison de santé, où toutes les fenêtres sont grillées et toutes les portes garnies de solides verrous."

La Diane, journal satyrique à tendance Boulangiste, apporte en complément un croquis unique de la Villa Stoltz [2] et confirme certaines descriptions du Gaulois [3]. Le Journal consacrera l'essentiel d'une vingtaine de numéros à l'Affaire Hériot. Prenant fait et cause pour les cousins du commandant auxquels il ouvre largement ses colonnes, il fait campagne pour la libération du captif de la Boissière, et dénonce son prochain enfermement dans le "cabanon" du Vésinet.

La nouvelle prison du commandant Hériot [2]
Croquis de la villa Stoltz, au Vésinet
La villa Stoltz est une maison basse et carrée, très humide et entourée d'un fossé.
Voici la prison réservée au commandant Hériot.

Quant au château artistique et princier,[la Villa Hériot] dont nous publierons prochainement la photographie, ce sera la demeure de "Madame", qui aura à sa disposition les six équipages attachés à cette résidence (les écuries dépassent en luxe celles de Chantilly !!), ainsi que le parc qui l'entoure, dont une trentaine d'ares seulement, séparés par un mur en planches de trois mètres de haut, sont miséricordieusement abandonnés par Mme Hériot à son mari pour lui servir de préau !

Sous le titre "L'oubliette du Vésinet", Louis Antonin, directeur de la publication de la Diane fait une description beaucoup plus dramatique de la transformation de la Villa Stoltz [3]:

La prison de la Boissière n'était pas assez sûre ; on a dépensé, sans compter l'argent du commandant Hériot pour construire un cachot bien solide, une chambre de torture suffisamment sourde pour qu'à travers les murs capitonnés d'étoupe on ne pût entendre du dehors les cris du condamné, pardon ! les cris du propriétaire de la maison.
Quel est l'homme, le plus sain d'esprit qui, dans cette situation, ne deviendrait fou à lier en vingt-quatre heures ?
L'in pace du Vésinet, que Mme Hériot se complaît à faire décrire dans les journaux avec une coquetterie qui serait grotesque si elle n'était sinistre, ne peut être comparé qu'à la cellule du condamné à mort, gardé continuellement à vue en attendant l'heure fatale.
Dans une conversation, M. Bouchez, procureur général, reconnaissait que dans presque tous les cas, il fallait interner dans une maison de santé les aliénés, mais il se demandait quel établissement pourrait offrir un parc aussi beau, aussi grand que celui de la Boissière.
Cette fois il ne s'agit plus de parc ; il s'agit d'une oubliette telle que jamais direction de maisons de santé n'oserait faire construire pour un fou aussi lucide que M. Hériot.
[...]
En vue de ce changement de résidence, d'importants travaux sont exécutés depuis le commencement de ce mois dans la propriété du commandant Hériot, au Vésinet.
Cette propriété, qui s'étend le long de l'avenue Centrale et de l'avenue de la Prise-d'Eau, comprend alors deux corps de bâtiments. L'un d'eux, construit récemment par le commandant Hériot depuis la mort de son frère, s'élève sur l'emplacement des anciennes écuries de Mme Stoltz. L'autre, au contraire, fut bâti pour la célèbre cantatrice et se trouve à l'extrémité de la propriété sur l'avenue de la Prise-d'Eau. C'est dans ce dernier bâtiment que le commandant Hériot sera placé en quittant le château de la Boissière.
[...] Pour prévenir toute évasion, la partie du parc réservée spécialement au commandant est clôturée par des planches ; la grille extérieure, qui se prolonge tout autour de la propriété, va être également revêtue de fortes plaques de tôle. Le commandant Hériot se trouve ainsi placé dans une habitation spéciale, entièrement isolé de sa femme et de ses enfants.

Ce "cabanon" ne servit finalement pas ou très peu. Le tribunal décida de confier le Commandant Hériot aux bons soins de la faculté, loin de Madame Hériot, et sa santé se rétablit rapidement et suffisamment pour qu'il reprenne une vie normale et même une vie de couple, dont Virginie Hériot sera le fruit en juillet 1890.
La "maison de la chanteuse", devenue inutile et le stigmate d'un épisode tragique qu'il fallait oublier, fut finalement démolie. Le Conseil municipal de novembre 1890, en décidant de nommer "route de la villa Hériot" la route de la Villa Stoltz acheva de la faire disparaitre.

    Notes

    [1] Margat, Jules - Affaire Hériot, Le Gaulois, Paris, 25 octobre 1888.

    [2] Antonin, Louis - La nouvelle prison du Cdt Hériot, La Diane, Paris 4 novembre 1888.

    [3] Antonin, Louis - L'oubliette du Vésinet, La Diane, Paris, 28 octobre 1888.


Société d'Histoire du Vésinet, 2010 - www.histoire-vesinet.org