D'après le baron Gayne de Meyer, Vogue (Paris) 1er décembre 1920.

Le baron de Meyer chez Jeanne Lanvin, au Vésinet
Etude photographique exécutée pour Vogue par le baron de Meyer lors de sa visite à Paris

Il y a déjà quelque temps de cela, une jolie jeune femme descendait les Champs-Elysées accompagnée d'une petite fille qui dansait autour d'elle comme un brillant papillon dans la lumière. Pendant que la maman causait avec d'élégants messieurs et riait avec de charmantes dames, le petit papillon, ivre de jeunesse, et de soleil, tourbillonnait dans sa robe diaprée, une robe si jolie et si originale que tout le monde demandait à la mère: « Mais où trouvez-vous de si jolis arrangements pour votre fille ? Quel est donc votre couturier ? »
Et la maman souriait et répondait: « Mais c'est moi toute seule qui lui fais ses toilettes. Je ne connais pas de maison qui habille bien les enfants. » Et le fait est qu'aucun enfant n'était alors habillé avec autant de charme et d'enfantine grâce que cette petite fille ... qui n'était autre que la fille de Madame Lanvin.
Telle est l'origine d'une brillante carrière. On pourrait dire sans paradoxe que Mme Lanvin n'a jamais composé de robes que pour sa fille. A mesure que le petit papillon grandissait, ses robes grandissaient aussi, et comme il n'était toujours qu'un petit papillon aux yeux de sa mère, vous savez maintenant pourquoi les robes de Mme Lanvin, quelque longues qu'en soient les jupes, sont toujours au fond des robes de petites filles.

    Dans ses nombreux clichés de mode, de Meyer suggère la ligne d’un couturier dans des ambiances floues

    et crée, par des effets de transparence, une impression de légèreté.

Découvrez quelques centimètres d'une robe de Mme Lanvin et tout le monde désignera le couturier qui l'a faite, car on reconnaît tout de suite la marque de fabrique : de la naïveté, de la simplicité, une gaucherie charmante qu'aucun autre artiste de modes n'a su donner à ses créations. Quiconque porte une robe de Lanvin porte une robe que Mme Lanvin a composée pour sa fille ; ou si elle ne l'a pas composée expressément pour sa fille, vous pouvez être assuré que sa fille était présente à sa mémoire au moment de l'inspiration.

Cet été j'allais rendre visite à Madame Lanvin dans sa propriété du Vésinet. De Paris étaient venus aussi les plus charmants mannequins du monde, dont je composais des groupes que mon appareil mit en joue...

Les très jeunes Parisiennes respectent le nom de Lanvin, car Lanvin a un talent tout particulier pour habiller les enfants. La robe de gauche est en velours brun doré avec des coques de velours aux manches et au cou. La ceinture de cuir met une tache noire, répétée par les rubans qui attachent les poches.

L'autre robe, est composée d'une jupe écossaise noire et blanche et d' un corsage de velours noir piqué de bleu. Le chapeau est en velours noir orné de perles.

Cette robe d'après-midi montre les différentes façons dont une Parisienne peut porter de la broderie. La robe, en drap noir est ornée d'une broderie dessinant en blanc et noir un de ces écussons que les pages du Moyen-âge prêtent aux élégantes cet hiver. La tunique en crêpe Turco blanc agrémentée de triangles de velours bordés de perles et d'une matière qui rappelle la mousseline de soie sans en être.

Quelque chose du charme d'un vieux daguerreotype flotte autour de cette simple petite robe de taffetas vert-bleu, et l'ampleur bruissante de sa jupe fait revivre rue de la Paix les élégances d'autrefois. La ceinture se termine sur le côté par un noeud dont les extrémités descendent jusqu'à terre. Des perles de cristal étincellent sur la jupe et sur le corsage où elles forment une bande qui borde le décolté bas.

 

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    Notes et sources :

    [1] Le baron Adolf Gayne de Meyer (1868-1946), né à Paris et décédé à Los Angeles, photographe d'origine allemande est considéré comme le premier photographe de mode du monde. Avant la Première Guerre mondiale, les magazines de mode étaient généralement illustrés par des croquis et des dessins ; il y a introduit l´utilisation de la photographie. On lui doit aussi, entre autres, un portrait de la marquise Casati.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2015 - www.histoire-vesinet.org