D'après "Concerts et promenades" - Michel Nilles, Mémoire de Maitrise, Paris I, 1989 – complétés par des extraits de presse et des notes (SHV).

Les débuts en musique de la colonie du Vésinet

La musique offre à la nouvelle colonie d'occasion de se faire connaître. Si la première journée de concerts est gâchée par le mauvais temps, n'ayant pu attirer que 400 ou 500 personnes,les suivantes vont connaître un succès grandissant, attirant dans le parc plus de 2000 ou 3000 visiteurs. Un kiosque à musique est installé dès 1859. Il subira trois déplacements en 1861, 1864 et 1866.
Son premier emplacement est situé à 1 km des stations de chemin de fer du parc, dans la partie rive gauche. La pelouse s'étire de la gare centrale en direction du lac Inférieur. Le kiosque est dressé entre la route Centrale (désormais avenue Georges Clemenceau) et une rivière dans un des cadres les plus pittoresques. La pelouse, dite ainsi des Concerts, est voisine du nouveau café-restaurant Lecomte, avec ses nombreux divertissements. [1]

    Pelouse des Concerts, avenue Centrale autour du lot 77, îlot 5, non encore vendu (angle des actuelles avenue Georges Clemenceau et allée de la Gare).

La pelouse des Concerts est très animée grâce à Maury avec le concours des piston-solistes de l'Opéra et des musiciens des théâtres lyriques parisiens. Souvent, on compare dans la presse locale ce prestigieux spectacle à celui des Concerts Musard, qui font alors la renommée du kiosque des Champs-Elysées. Le journal des concerts, Le Furet du Vésinet [2], propose aux visiteurs « descendant à la gare centrale, de se rendre sur le sentier de la rivière,qui part du lac de Croissy. En bas de l'Avenue de la Princesse ; l'Asile impérial se détache des coteaux de Louveciennes. La pelouse que coupe la rivière, offre d'autres perspectives aux points de vue boisés. »

Le sentier mène au « confluent des petites rivières venant des lacs de Croissy et de la Station du Pecq, dévalant les majestueuses cascades, offre un choix d'itinéraires variés. A gauche, coupant la route de Croissy, il suit un cours d'eau jusqu'au lac Inférieur, où l'on peut passer un gué sur les rochers à fleur d'eau, et d'où l'on peut admirer les machines hydrauliques, sur fond de coteaux. En revenant, on continue sur l'autre rive, devant la maison de Mme Stoltz, par une pelouse jusqu'au lac de la Station, en traversant la route impériale bruyante de pas de chevaux et de roues ferrées. On a un bel aspect du chalet-restaurant, et la possibilité d'une jolie promenade sur le tapis-vert.


Dessin du premier kiosque (1861), la seule représentation que nous en ayons.

Le journal de St-Germain-en-Laye, L'Industriel propose à maintes reprises à ses lecteurs de descendre la côte à pied. Le circuit commence par le Tapis-vert, contourne le lac où l'on peut se restaurer, au retour du concert. Il, suit la rivière, passe devant la maison de la chanteuse, et emprunte l'allée des cascades menant au pont rustique sur la pelouse des concerts. C'est le même itinéraire que celui du Furet, mais en sens inverse. Le caractère répétitif de ces articles en fait des « réclames ».
La musique est donnée chaque dimanche de la belle saison. Maury [3] interprète des morceaux à la mode et souvent pour la première fois : le Fremersberg de Miroslav Koennemann, le Lalla-roukh de Félicien David, ainsi que des airs de Rossini, Auber, Meyerbeer et autres auteurs contemporains. Ainsi, par exemple, le Kiosque et la pelouse des concerts sont mis à la disposition du baron Taylor pour un festival choral et instrumental donné au bénéfice de la caisse de secours de l'Association des Artistes musiciens de France. Plus de 8 000 personnes assistent à ce spectacle de bienfaisance.

Dans les premiers jours du mois d'octobre [1862], par l'heureuse initiative de notre collègue Maury, nous donnions un festival choral et instrumental dans le parc du Vésinet. Un orchestre de 100 musiciens, sous la direction de M. Maury, a exécuté, entre autres morceaux, la Marche du Couronnement, de Meyerbeer, transcrite pour orchestre d'harmonie par notre collègue Paulus ; un solo de hautbois était joué par M. Boulle, premier hautbois du théâtre-Lyrique, et un solo de flûte par M. Genin, du théâtre des Italiens. Des chœurs d'Adam, d'Ambroise Thomas, de Laurent de Rillé, de Gounod, étaient exécutés par 250 chanteurs de l'Association des Sociétés chorales de Paris et du département de la Seine, sous la direction de leur président, notre collègue Delafontaine. Les commissaires nommés pour cette fête étaient : MM. Thomas, Dufrène, Proust, P. Dubois, Couder, Ermel, Elwart et Deffès.
Merci à tous ceux qui nous ont prêté leur concours en cette circonstance, notamment à M. Pallu, directeur du Vésinet, qui nous a montré une bienveillance dont nous sommes très touchés ; notons encore que les artistes de l'orchestre n'ont voulu recevoir que la moitié du prix qui leur est ordinairement attribué pour chaque concert, afin de permettre à notre collègue Maury de doubler son orchestre, et que MM. Halary et Perret ont versé chacun les 5 francs qui leur revenaient, à titre de don volontaire, et ont prêté leur concours gratuit à ce festival. Le prix payé pour l'entrée était de 1 franc par personne, et était perçu à divers bureaux au nombre de quatre. Un amateur de musique, un des bienfaiteurs de notre œuvre, dont le nom est cher aux artistes, M. Edouard Rodrigues, s'est présenté aux quatre bureaux, et, chaque fois, a remis la somme de 10 francs. Merci pour cette ingénieuse façon de donner 40 francs à notre caisse et de venir en aide à nos confrères malheureux. Ce festival a produit la somme de 704 francs pour notre part.
Remercions encore M. Maury des amendes qu'il inflige aux artistes inexacts de son orchestre, car à ce titre, il nous a remis 50 francs.
[4]

Des promeneurs venant de tous les horizons, se dispersent dans le parc. On les décrit comme essentiellement des gens de la bonne société qui se déplacent « en coupé bleu armorié, en calèche aristocratique, en phaeton », mais aussi en « panier » de campagne. Après les concerts, les auditeurs s'éloignent dans les sentiers boisés, les uns regagnent leurs foyers, les autres s'installent autour des restaurants de la colonie, envahissant les salles et les terrasses des restaurants.
Depuis 1862, le parc du Vésinet a sa fête patronale, comme Chatou, le Pecq et Croissy ont la leur. La colonie commence à constituer une importante agglomération et la fête de la Sainte-Marguerite est une manifestation bien particulière pour les journalistes de Paris et de la Seine-et-Oise, et au regard du grand public. La pose de la première pierre de l'église par l'évêque de Versailles figure parmi les festivités de la vie parisienne. Le programme du dimanche 20 juillet 1862 est copieux. La cérémonie commence à 10 heures, suivie d'un concert à 14 heures dans le parc. L'après-midi est animé par la fête foraine et les représentations théâtrales en plein air. Les illuminations féeriques entament la soirée à 20 heures, le grand feu d'artifice est tiré à partir de la pelouse des Concerts et enfin pour terminer, un bal est donné sous la tente nomade de Choteau, montée sur la place du marché. Si cette célébration initialement religieuse figure dans cette page, c'est qu'elle a revêtu pour les témoins une dimension plutôt profane comme se le rappellera le comte de Grandeffe dans ses mémoires :

Dans ce siècle étrange, entraîné par le tourbillon des affaires, il y avait parfois une étincelle de spiritualisme. C'est ainsi que le dimanche 20 juillet, monseigneur l'évêque de Versailles est venu bénir le nouveau village du Vésinet, bâti par des spéculateurs, sur les débris chèrement vendus d'un ancien parc. La cérémonie était imposante. Une messe en plein air attirait une grande foule. Je dois à la vérité de dire que l'attitude d'une certaine partie du public laissait beaucoup à désirer. A Paris, les masses ont cessé d'avoir cette foi naïve et honnête de nos pères. Il y a toujours des brebis galeuses qui gâtent le troupeau, c'était le germe de la Commune à venir ! Voilà pourquoi les processions ne sortent plus dans Paris. C'est une honte pour notre prétendu libéralisme, car la seule raison qu'on puisse donner de cette prohibition peu libérale, c'est qu'on craint les scènes de désordre et de scandale. [5]

En 1863, du 19 au 21 juillet la fête qui se déroule sur les places du village et sur la pelouse des concerts connaît un succès encore plus important. Des break-omnibus, amenés de Paris, assurent les excursions dans tout le parc.
En juin 1864, le kiosque des concerts est transféré aux abords du lac Supérieur, façon de mettre en exergue l'intéret du lieu nouvellement loti et celui du village que les visiteurs traversent.

La nouvelle pelouse des concerts

Sur ce plan de la Compagnie Pallu & Cie (1866), le lieu des concerts avec en son centre le kiosque figuré par une étoile, dans le périmètre délimité par les actuels boulevard des États Unis à l'Est, allée des Bocages au Nord, et le lac Supérieur au Sud-Ouest.

Ce périmètre a été fortement transformé par la suite, d'abord par le découpage en parcelles (à droite) puis, au début du XXe siècle par le tracé de nouvelles voies, l'édification des châteaux d'eau et le morcellement en parcelles plus petites.

 

Les voyageurs, qui descendent à la gare du Vésinet, remontent la rue de l'Église pour devoir admirer l'église en construction. Au-delà de la route impériale, une allée boisée conduit à la pelouse du lac où se sont établis une buvette et un chalet de photographe. Ce dernier fait des prises de vues d'équipages et de villas, ainsi que des portraits. Pour clore la saison, un concert exceptionnel de 100 musiciens enchante les 6000 visiteurs.
La fête patronale est elle aussi organisée au nord du village, entre le lac supérieur et la route impériale. Elle dure une semaine, offrant un éventail plus large d'attractions. Le spectacle le plus attirant reste les tournois équestres de bagues, organisés au rond-point royal et ouverts aux cavaliers pour 10 frs, aux dames amateurs pour 5 frs, et aux militaires en tenue pour une participation gratuite (les sous-officiers des Lanciers de la Garde rehaussent la fête de leur prestance).
On y retrouve aussi des jeux traditionnels. Les mâts de cocagne, les courses aux clochettes et en sacs et les baquets aux oranges distraient les spectateurs. Alors que les bals d'enfants s'exécutent sous la tente de Choteau, les concerts sont donnés par une centaine de musiciens sur la pelouse du lac supérieur car le kiosque est trop étroit. Des exhibitions de trapézistes sous un aérostat sont proposées par Godard, un aéronaute français chargé sous l'Empire d'élever des ballons pendant les fêtes publiques. Il propose aussi des ascensions en ballons captifs aux plus aventureux des spectateurs. Le train de plaisir et le steeple-chase comique sont encore d'autres divertissements séduisants. La course aux ânes, par exemple, est un des spectacles les plus envoûtants :

La course aux ânes divertit indigènes et étrangers élégants, applaudissant du haut de leurs sièges de voitures [...] ; parmi ces coursiers, un aliboron brun de quatre ans appartenant à Rigaut, propriétaire de la Ferme du Vésinet [6] qui dans six épreuves successives de quatre tours du petit hippodrome de 25 m de circonférence, a constamment aux grandes allures, monté par différents jockeys ruraux en blouse, tenu la tête à ses rivaux qu'il a même dans,une dernière épreuve, entraînés jusqu'à essayer de passer tant bien que mal 4 haies qu'il franchit, lui, comme un véritable cheval de course ; aussi, le nom de Vermouth lui a-t-il été décerné d'une voix unanime, et peut-on dès à présent, et à raison de dix sous l'heure, se procurer le plaisir de parcourir les immenses méandres du parc juché sur le dos de Vermouth. [7]

En juin 1866, le kiosque est transféré définitivement sur l'île du grand-lac, au milieu du jardin anglais. En été, commencent les premières courses de régates sur les eaux du grand lac. « Malgré l'affluence peu considérable du public, au nombre de mille à peu près, pour un après-midi torride, l'épreuve a obtenu un grand succès. Le périssoire devient le jeu le plus époustouflant de la course. » ...

...A Lire aussi: Les fêtes de la belle époqueLe Vésinet, lieu de fêtes prédestiné

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    Notes et sources

    [1] Pelouse des Concerts, avenue Centrale autour du lot 77, îlot 5, non encore vendu (angle des actuelles avenue Georges Clemenceau et allée de la Gare).

    [2] Le Furet du Vésinet, journal illustré des concerts et des fêtes, paraissant chaque dimanche de la belle saison, en 1862 et 1863.

    [3] H. Maury, sous-chef de l'Harmonie de la Garde de Paris, directeur fondateur de l'Harmonie du Vésinet.

    [4] Société des artistes musiciens. La Comédie, n°9, 17 mai 1863.

    [5] Comte Arthur de Grandeffe, Paris sous Napoléon III. Mémoires d'un homme du monde de 1857 à 1870, A. Chaix, Paris, 1879.

    [6] il s'agit d'Armand Rigot, exploitant une ferme dans le Village, rue de la Faisanderie (actuelle rue Alphonse-Pallu) à ne pas confondre avec la Ferme du Vésinet sur le territoire du Pecq, développée au XVIIIe siècle par le duc de Noaille puis le Comte d'Artois.

    [7] L'Industriel de Saint-Germain, 5 août 1865.


Société d'Histoire du Vésinet, 2015 - www.histoire-vesinet.org